
L’occupation du pavillon Roger-Gaudry
Auteur·e·s
Jeanne Strouvens et Adelina Bocanegra
Publié le :
2 avril 2022
Depuis lundi maintenant, des dizaines d’étudiants de l’Université de Montréal occupent le Hall d’honneur du pavillon Roger-Gaudry afin d’obtenir de l’administration de l’université qu’elle prennent des pas plus concrets en vue de son désinvestissement total des énergies fossiles. Dans la majestueuse salle de style art déco, une poignée de tentes sont installées autour d’une large bannière de Greenpeace.
On prévoit les prochaines étapes de l’occupation, on organise une campagne de financement, on tente de diffuser le mouvement dans les médias et, surtout, on se soucie de l’avenir de la planète.




* Prenez note que le début de l'article a été écrit le 1er avril 2022*
Près d’une des tentes, une bannière attachée à une poutre du Hall énumèrent les associations étudiantes qui appuient le mouvement. On y retrouve notamment l’Association des Étudiants en Droit (AED), dont le cahier de position inclut une position en faveur du désinvestissement.
Un peu partout dans la salle, des étudiant.e.s, arborant fièrement des symboles du désinvestissement discutent, dorment, débattent et jouent, donnant vie à cette communauté d’étudiant.e.s engagées et passionnées qui s’est créée au fil de la semaine. On prévoit les prochaines étapes de l’occupation, on organise une campagne de financement, on tente de diffuser le mouvement dans les médias et, surtout, on se soucie de l’avenir de la planète.
Le désinvestissement à tout prix
Plus de quatre jours que deux étudiants de l’Université de Montréal, que deux de nos collègues n’ont rien avalé. Vendredi matin, Vincent est amené d’urgence à l’hôpital à la suite d’un malaise. D’autres étudiants, armés de leurs banderoles, escortent la civière jusqu’à l’ambulance. Pour les grévistes du pavillon Roger Gaudry, il n’y a pas de mot pour décrire leur rage: l’intransigeance du rectorat fait tomber l’un des leurs. Mais malgré l'immuabilité de l’administration, les étudiants sont persuadés de tenir fermement le gros bout du bâton: eux non plus ne bougeront pas.
Ce sont 132 millions de dollars d’actifs dans le secteur fossile que le fond de dotation et le régime de retraite (RRUM) que l’Université de Montréal détiennent (1). Et bien qu’elle reconnaisse l’enjeu de la crise climatique et que ses chercheurs soient reconnus et cités internationalement, et bien que le paradoxe soit ridicule et que ses étudiants le soulignent depuis 7 ans (2), le recteur refuse toujours de parler aux étudiants. Les revendications des grévistes sont pourtant simples et peuvent être résumées comme suit : une promesse publique du rectorat d’une sortie progressive des énergies fossiles d’ici le 31 décembre 2025, ainsi qu’une plus grande transparence quant à la nature de leurs investissements en général. Comme le dit Axelle, une des organisatrices de l’occupation, « on ne demande pas la lune ». L’Université s’entête-t-elle à rester en retard sur son temps? Le recteur laisse espérer que non, lorsqu’il adopte, vendredi après-midi, deux des revendications des grévistes. Il s’engage entre autres à présenter des scénarios de désinvestissement total avant le 1er décembre 2025 aux instances exécutives de l’Université. Toutefois, d’autres revendications qui sont toutes aussi garantes de la cessation de l’occupation restent sans réponse : l’Université refuse de faire preuve de transparence quant aux investissements du fonds de dotation et refuse l’adoption des principes d’environnement, sociaux et de gouvernance (ESG) qui excluent toute extraction de ressources non renouvelables (3). La lutte continue donc.
L’occupation comme moyen de pression
C’est en 2012 que les communautés étudiantes d’Harvard et Yale entament leurs premières campagnes « Divest » sur leurs campus (4). Dix ans plus tard, au matin du 16 février 2022, du pétrole est déversé sur les mêmes escaliers que les grévistes ont monté lundi dernier, à 10h, au pavillon Roger-Gaudry. Tentes et pancartes sous le bras, ils sont entrés calmement dans le pavillon, ont débarrassé le hall de ses tables, et y ont planté un village. Des gardes rôdent autour de leur enceinte depuis, leur envoyant ici et là des menaces d’appeler la police et de les déloger. Mais les étudiants organisent depuis des mois déjà leur occupation et rien ne les fera broncher. On leur barre l’accès aux salles de bains, aucune prise de courant n’est fonctionnelle, on leur montre les dents et on leur résiste, mais les grévistes promettent d’être là pour rester.
Dans un calendrier hebdomadaire, on prévoit des conférences, des soirées karaoké et jeux de société ainsi que des assemblées générales. Sur place, une vingtaine de tentes se tiennent érigées à gauche. Tout près, de l’entrée on retrouve une pléthore de denrées offertes par une organisation promouvant le déchétarisme. Plus loin, une librairie gratuite improvisée contient une centaine de livres sur les enjeux climatiques offerts par Écosociété, une maison d’édition montréalaise. Une réelle communauté s’est créée dans le majestueux pavillon, où les militants sont les invités d’honneur. Les fondateur.rice.s se sont assurés de la créer à leur image: elle est démocratique, inclusive, égalitaire, et prête à tout pour assurer un avenir sauvé de la crise climatique. Iels se rassemblent, ce midi, comme tous les autres, prêts à voter les prochaines étapes de l’occupation.
Les motivations des militants
Depuis septembre dernier, la campagne de désinvestissement bat son plein. Manifestation après manifestation, moyen de pression après moyen de pression: rien n’y a fait. Et selon Viviane et Mathieu, l’occupation était la suite logique. Inspirés par McGill, les étudiants de plusieurs départements votent une grève générale illimitée, qui permet à l’assemblée de grévistes de s’organiser de mener à bonne fin leur projet d’occupation. Ensemble, ils se rassemblent et forment un front solidaire et uni, prêt à faire face à la ténacité de l’administration.
Qu’est-ce qui rend cet enjeu viscéral au point de pousser certains d’entre eux à faire la grève de la faim pendant plus que 100 heures? Voilà une question qui en sous-tend bien d’autres. Une institution universitaire, visant à instruire plusieurs des citoyens d’aujourd’hui et de demain, n’a-t-elle pas un intérêt à ce qu’il existe un « demain » ? À se responsabiliser pour ce futur si fragile, qui ne tient qu’aux futures décisions des grandes forces marchandes de ce monde ? La lutte pour le désinvestissement englobe quelque chose de plus grand que l’occupation de cinq associations étudiantes au Pavillon Roger-Gaudry de l’Université de Montréal. Elle a trait à la responsabilité sociale d’une institution censée paver la voie vers notre futur.
À quoi s’attendre pour la suite?
Lorsque questionnés sur les plus grands défis qu’ils entrevoient pour la suite des choses, les grévistes sont unanimes : la couverture médiatique et le soutien des autres associations départementales de l’Université de Montréal sont d’importance capitale. La couverture médiatique, d’une part, car les étudiants visent par leur moyens de pression à se prendre directement à l’image de l’Université. Le soutien actif des autres associations étudiantes, d’autre part, car plus de voix étudiantes sont unies, plus leur chant devient difficile à ignorer. Selon Quentin, chacune des associations départementales de l’université peut contribuer à sa façon. Au sujet de l’AED, il affirme d’ailleurs :
« La faculté de droit a une certaine prestance auprès de l’Université, elle peut donc faire pression sur l’Université à sa manière. On invite les étudiants de droit à se rassembler et à faire comprendre au recteur qu’ils veulent un changement. Ça ne doit pas nécessairement passer par la levée des cours, ça peut passer par des pétitions, par des contacts directs avec le recteur. Certaines assemblées y vont d’une approche plus militante, d’autres plus institutionnelle, mais ces deux approches sont nécessaires dans la lutte ».
Course aux stages, élections de l’AED et préparation aux examens finaux obligent, les étudiants de la faculté de droit sont restés dans l’ombre durant cette semaine d’occupation du hall d’honneur du pavillon Roger-Gaudry. N’est-il pas temps qu’ils rejoignent la mêlée?
*Suite de l'article modifié plus tard, à la suite des dénouements du 2 avril 2022*
Nous tenons à préciser qu’à la suite des récents développements, les occupant.e.s ont eu gain de cause : en plus de s'engager à désinvestir le Fonds de dotation des énergies fossiles d'ici 2025, l'administration s'engage à être transparente dans ses investissements. L'administration s'engage aussi à respecter les principes d'investissement responsable de l'ONU. Les discussions entre le recteur et l'Écothèque se poursuivront lundi matin.
Sources citées:
UdeM sans pétrole (2019). UdeM sans Pétrole. UdeM sans pétrole. https://desinvestissons.wixsite.com/udemsanspetrole.
Id. L’initiative UdeM sans pétrole, qui a comme mission de sensibiliser l’Université de Montréal et sa communauté aux risques financiers, éthiques et écologiques liés aux investissements fossiles, a été créée en 2015.
Annoncé sur la page Instagram de l’Écothèque. https://www.instagram.com/l_ecotheque/?hl=fr-ca.
Collins, S (2019, 23 novembre). Climate activists brought Harvard-Yale football game to a stop to protest fossil fuel investments. Vox. https://www.vox.com/2019/11/23/20979444/fossil-fuel-protest-harvard-yale-football-game