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L’art féministe du 20e siècle : un alliage du personnel et du politique

Auteur·e·s

Lin Shan Zhong

Publié le :

30 avril 2025

L’art est l’entre-deux entre l’interne (l’imagination, le personnel) et l’externe (la réalité, la politique).

Durant les années 1960 et 1970, le slogan « Le personnel est politique » représentait la cohabitation de deux vagues féministes : le féminisme réformiste et le féminisme radical. D’une part, les revendications sociales de la première vague se concentraient principalement sur l’inégalité des sexes alors que d’autre part, la deuxième se focalisait sur le corps humain. L’art féministe québécois que l’on retrouvait dans les galeries non traditionnelles à l’époque, et dont le contenu est politisé, reflète ces revendications à travers le point de vue personnel des femmes artistes.

L’identité est une notion qui est à la fois personnelle et politique. Le travail des artistes de la galerie Powerhouse, première galerie « parallèle » située à Montréal qui existe toujours aujourd’hui, se centrait surtout sur la thématique de l’identité féminine.

L’art féministe: une réponse à l’oppression culturelle

Personne ne peut nier que les femmes ont vécu une vague d’oppression au 20e siècle. Cela dit, celle-ci s’étendait également à la sphère culturelle : les galeries et les musées commerciaux refusaient d’exposer les œuvres des féministes. Ce n’est que durant la Révolution tranquille — période où l’État est intervenu dans tous les milieux de la société, y compris celui de l’art — que les galeries « parallèles » ont vu le jour, permettant à de nombreuses femmes de diffuser leur art dans un milieu alternatif, même si ces galeries constituaient des endroits reclus subventionnés par le gouvernement plutôt que  des institutions artistiques officielles.

Compte tenu de l’émergence d’autres événements sociopolitiques de grande envergure durant cette même période, tels que la naissance du sentiment nationaliste québécois et les débuts de la révolution sexuelle, l'envie de s'exprimer et de se faire entendre était plus forte que jamais. Quant aux femmes, plusieurs se prononçaient à travers leurs œuvres, ce qui explique le caractère politisé de leur art.


L’identité : élément central au cœur de l’art féministe

L’identité est une notion qui est à la fois personnelle et politique. Le travail des artistes de la galerie Powerhouse, première galerie « parallèle » située à Montréal qui existe toujours aujourd’hui, se centrait surtout sur la thématique de l’identité féminine. D’une part, elles souhaitaient critiquer les valeurs patriarcales de la société en se réappropriant leur identité. D’autre part, elles souhaitaient révéler le côté plus intime et personnel de leurs identités féminines, notamment en employant l’image du corps dans leurs œuvres d’art.


D’ailleurs, c’est ce que nous retrouvons dans la performance artistique intitulée Codpieces : Phallic Paraphernalia, imaginée par Tanya Mars lors d’une exposition à la galerie Powerhouse en 1974. Il s’agissait d’un défilé de mode qui mettait en scène des hommes portant des braguettes, c’est-à-dire des pièces vestimentaires portées par des nobles du Moyen-Âge couvrant leurs parties génitales pour éviter toute exposition de leurs parties intimes causée par leurs habits mal conçus. Il faut comprendre qu’il s’agissait d’une époque où la fermeture éclair n’existait pas encore! Le spectacle de Mars présentait des hommes qui se paradaient presque nus, portant des braguettes fabriquées à partir d’emballages de viande, de plumes et de fourrures, sous les acclamations d’un public féminin. L’artiste cherchait à créer une prise de conscience autour de la différence de perception entre le corps féminin et le corps masculin : le corps féminin soumis au regard masculin était accepté par les normes de la société, mais lorsque c’était le corps masculin qui était soumis au regard féminin, ça ne l’était pas! En effet, les défilés Miss Universe qui sexualisaient les corps des femmes étaient célébrés, mais une exposition de la partie intime de l’homme n’était pas tolérée. Le défilé en question a suscité une grande controverse confirmant la critique de Mars : l’identité féminine ne devrait pas être définie par la validation ou l’approbation des hommes!


Toujours dans les coulisses de la galerie Powerhouse, les 15 lithographies produites par Doreen Lindsay témoignent de l’arrimage entre critique et intimité. Elle avait intégré son expérience personnelle dans sa création artistique féministe. Les impressions de Lindsay illustrent les différents éléments qui ont forgé son identité : la naissance de sa fille, la relation mère-enfant ainsi que la physiologie du corps féminin. L’ensemble de son œuvre met en lumière les difficultés qu’elle a rencontrées lorsqu’elle tentait de conserver son identité face aux contraintes et aux pressions sociales imposées aux femmes. À titre d’exemple, l’une des lithographies, Self-Portrait, dévoile le corps nu de l’artiste devant un miroir, mais son visage est flouté. Ce choix artistique illustre non seulement la perte d’identité qu’a connue Lindsay, mais également l’objectification des femmes par la société, qui les dénuait de toute personnalité et les réduisait à leur seul corps.


Les matériaux et les médiums employés pour créer l’art féministe

L’avantage que la galerie Powerhouse conférait à ses membres était la possibilité d’expérimenter avec divers types de matériaux et de médiums. Ces derniers étaient utilisés dans des œuvres par les femmes artistes afin d’unir le personnel et le politique. Sur le plan personnel, les matériaux utilisés étaient rattachés aux activités exclusives des femmes : tissage, couture, broderie. Sur le plan politique, ces mêmes matériaux étaient dénigrés et rejetés par l’histoire de l’art en raison de leur caractère féminin.


Lors d’une exposition de 1976 dans la galerie Powerhouse, les œuvres expressives de Diane Quackenbush furent révélatrices de cet aspect double du personnel et du politique. Elle avait dessiné et peinturé des motifs de textile — des carreaux et des fleurs, des éléments qu’une femme travaillant avec une machine à coudre pourrait immédiatement reconnaître (le personnel) — en utilisant de l’acrylique sur papier et canevas, des médiums universellement reconnus et célébrés par l’histoire de l’art (le politique). En empruntant les motifs décoratifs des tapisseries créées par des artisanes-artistes et en les incorporant dans son œuvre, Quackenbush leur rendait hommage dans un contexte d'oppression culturelle où les institutions officielles continuaient de nier l'importance de l’influence des travaux des femmes dans le milieu artistique.


L’oppression culturelle du siècle dernier a été atténuée grâce à l’évolution des mentalités du public artistique. L’art a, lui aussi, connu une profonde transformation. À présent, on n’entend plus parler des motifs de textile des artisanes d’hier, mais plutôt du tricot-graffiti des artistes contemporaines d’aujourd’hui. Pour les artistes, le personnel sera toujours politique.

  1. Kim RONDEAU, Où en sommes-nous avec l'art féministe? Analyse de la programmation de La Centrale Galerie Powerhouse (1973-1978 et 2007-2010), mémoire de maîtrise, Montréal, Institut de recherches et d'études féministes, Université du Québec à Montréal, 2012, en ligne : < https://archipel.uqam.ca/5249/ >

2. Lucille BEAUDRY, « L’art et le féminisme au Québec : aspects d’une contribution à l’interrogation politique », (2014) 21 Revue Recherches féministes 2, en ligne : < https://www.erudit.org/fr/revues/rf/2014-v27-n2-rf01646/1027915ar/ >

3. Image: https://ca.pinterest.com/pin/6825836929426822/

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