L’accès universel à la contraception : l’affaire de toustes … et des féministes.
Auteur·e·s
Eric Rivas-Canales
Publié le :
29 novembre 2024
Vous rappelez-vous de vos cours d’éducation sexuelle? Pour ma part, je me souviens du mélange de rire et de gêne lorsque mon professeur de sciences a déroulé un condom sur un objet phallique. J’ignorais à l’époque que les méthodes contraceptives étaient plus que de simples technologies. Elles exercent une énorme influence sur nos cultures, nos systèmes d’organisation sociales et notre autonomie. Malgré la victoire féministe que représente l’invention de la pilule contraceptive, les revendications continuent autour du sujet de la contraception, car il existe encore des barrières à l’accès aux méthodes contraceptives. Pour en savoir plus, je m’entretiens avec Anne-Sophie Gignac, anthropologue et militante féministe pour la Fédération Québécoise pour le planning des naissances.
Au Québec, 40% des grossesses sont non planifiées et 20% des femmes qui utilisent un moyen de contraception l'utilisent de façon irrégulière.
Vous avez récemment lancé la campagne Révolution Contraceptive. En quoi consiste-t-elle?
Cette campagne vise à obtenir l’accès universel à la contraception. Nous avons trois revendications : la gratuité de toutes les méthodes de contraception; une meilleure sensibilisation des professionnel.les de la santé sur le sujet afin de favoriser le libre choix des méthodes contraceptives; un meilleur financement pour les organismes communautaires qui œuvrent en santé sexuelle. Au Québec, 40% des grossesses sont non planifiées et 20% des femmes qui utilisent un moyen de contraception l'utilisent de façon irrégulière. Selon les études sur le sujet, la principale barrière à l’accès à la contraception reste le coût.
Pourquoi le gouvernement aurait-il intérêt à répondre à vos revendications?
Pour protéger les personnes pouvant tomber enceinte, tout simplement. La charge contraceptive est inéquitablement portée par cette population, puisque peu d’options contraceptives existent pour les hommes. En santé, la prévention est toujours gagnante et cette campagne milite exactement pour cela. Notons aussi que le système de santé subi les conséquences des grossesses non planifiées, celles-ci engendrant des coûts significatifs (avortement, accouchement, services d’accompagnement). Ce choix politique est donc rentable. Un dollar investi en contraception fait économiser 90$ en services et en soins au gouvernement.
Certain.e.s pourraient penser que la lutte pour la contraception s'est terminée avec la démocratisation de la pilule. En quoi l'accès universel à la contraception s'inscrit dans les luttes féministes d'aujourd'hui?
Certes, l’invention de la pilule constitue la première révolution contraceptive. Toutefois, la prochaine lutte vise l’accessibilité et non pas seulement la disponibilité. Présentement, certaines méthodes contraceptives sont plus chères que d'autres. Pour avoir une société où chacun peut choisir librement le moyen de contraception qui lui convient le mieux, il faut éliminer le coût comme facteur décisionnel. C’est la suite logique de « Mon corps, mon choix ».
Quelles sont les méthodes contraceptives que les professionnel.les de la santé ont tendance à favoriser ou rejeter et pourquoi?
Cela dépend des médecins. Toutefois, iels vont généralement favoriser les méthodes ayant un haut taux d’efficacité clinique (stérilet, implant contraceptif, pilule contraceptive). Les caractéristiques de l’individu doivent être prises en compte, car le contraceptif le plus efficace est celui qui convient le mieux à la personne, soit celui que la personne est capable d’utiliser adéquatement sans embûche budgétaire, selon ses valeurs et selon son style de vie. Il arrive que certaines personnes veuillent choisir une méthode de contraception moins efficace statistiquement, mais plus subtile et moins invasive. Les professionnel.les de la santé devraient alors systématiquement présenter toutes les options aux patient.es.
Dans le cadre de votre campagne, vous recevez des témoignages de personnes ayant rencontré des difficultés à obtenir de la contraception. Quelles sont ces difficultés?
Le coût de la prescription est souvent dénoncé. Par exemple, j’ai entendu l'histoire d'une mère de deux enfants qui souhaitait adopter l’implant contraceptif, mais qui l’abandonnait quelques mois par année par manque d’argent. Elle se sacrifiait pour ses enfants.
J’ai aussi beaucoup de cas où les patient.es se font imposer une méthode de contraception. Je parle des jeunes qui n’ont pas toute l’éducation sur le sujet et qui font confiance à leur médecin. Iels optent presque toujours pour la pilule contraceptive par défaut.
Je reçois aussi des témoignages de personnes ayant souffert d’énorme effets secondaires à cause de la pilule contraceptive et qui ne sont pas prises au sérieux par leur médecin. Cela arrive très souvent. Ces personnes sont tellement traumatisées par leurs expériences qu’elles ne vont plus voir les médecins. Cela se traduit en tests de dépistage du cancer manqués, au développement de maladies chroniques et à des complications de maladies facilement traitables en amont. En termes de santé publique, c’est un échec cuisant.
Quelles sont les ressources disponibles pour les personnes rencontrant des difficultés à obtenir leur méthode de contraception choisie?
Les recours sont presque inexistants pour ce genre de situation. En cas de fautes déontologiques graves, la personne peut porter plainte au Collège des Médecins, mais pour cela il faut des ressources et connaître ses droits. Les organismes communautaires qui se spécialisent en contraception sont rares, mais ils effectuent un travail d’éducation essentiel. Une personne qui connaît très bien toutes les méthodes de contraception est mieux outillée pour réclamer sa méthode de contraception choisie à son ou sa médecin.
Comment est-ce que l'hégémonie médicale influence l'accès aux méthodes contraceptives?
Il existe des rapports de pouvoir entre les patient.es et les médecins sans qu’il y ait nécessairement d’abus. Le ou la médecin possède plus de connaissances, un meilleur statut social et décide d’accorder la prescription. Si cette personne focalise entièrement son attention sur l’efficacité clinique et ignore le style de vie ou l’avis du patient, elle risque de briser le lien de confiance qui est central en médecine.
Comment je peux m'impliquer pour la cause?
Il est possible de s’impliquer comme bénévole pour notre campagne. Vous pouvez aussi partager et suivre nos publications sur https://www.instagram.com/fqpn.qc/. Pour les hommes dont le sujet les intéresse, renseignez-vous et parlez de contraception avec les femmes qui vous entourent. Si vous êtes en relation, proposez de partager les coûts de la contraception avec votre partenaire, proposez d’aller chercher le contraceptif à la pharmacie ou rappelez votre partenaire de prendre sa contraception. Même si les choix de contraceptifs pour hommes sont limités, chaque petit geste compte. La contraception concerne autant les hommes que les femmes.
La FQPN a lancé une pétition à l'Assemblée Nationale du Québec en lien avec cette campagne. Elle s’est terminée le 25 novembre. Au lendemain de l’élection de Trump, l'influenceuse Élisabeth Labelle a appelé les québécoises à canaliser leur tristesse en allant signer cette pétition. Celle-ci est passée de 1500 signatures à plus 70 000, en moins d’une semaine. Celle qui se décrit comme une «femme menstruée à faible budget» a continué de porter ce projet jusqu’au bout. Il reste à voir si le gouvernement de la CAQ, qui se dit féministe, agira en conséquence. Cette initiative prend place alors que les gouvernements de droite se multiplient en Europe et en Amérique du Nord.