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J'ai le droit à un HLM

Auteur·e·s

Myriam Coderre

Publié le :

22 août 2024

Cet été, mon expérience de travail à l’Office municipal d’habitation de Montréal (OMHM) m’a permis d’avoir une vue de l’intérieur sur la fameuse crise du logement, de comprendre la manière dont elle impacte la vie des gens et, surtout, de constater toute la complexité des problèmes à résoudre.

À Montréal, entre 2014 et 2022, les loyers pour un studio ont grimpé de 38%, tandis que les prestations d’aide sociale ont augmenté de seulement 19% pour la même période.

L’équipe du service de référence, dont je faisais partie, constitue la première ligne d’assistance pour ceux et celles qui sont à risque de perdre leur logement ou qui l’ont récemment perdu. Entièrement financé par la Ville de Montréal, le service de référence offre un soutien aux personnes vulnérables et à revenus modestes qui n’ont pas réussi à trouver une solution de logement, notamment dans le contexte d’une reprise de possession, d’une « rénoviction », d’un sinistre, d’un non-renouvellement, d’une éviction ou d’une évacuation. Partenaire de la Ville de Montréal, de la Croix-Rouge et de plusieurs hôtels montréalais, l’équipe offre un accompagnement dans la recherche d’un nouveau logement, coordonne les relocalisations temporaires et, le cas échéant, encadre les relocalisations permanentes en logements subventionnés. La clientèle admissible aux services offerts par le service de référence est la même que celle pouvant prétendre à une habitation à loyer modique (HLM). Les critères incluent, entre autres, les revenus, le statut au pays, ainsi que le temps passé sur le territoire montréalais.


Dans le contexte actuel de crise du logement, le travail de l’équipe est absolument crucial pour de nombreux ménages. En effet, 1600 ménages québécois au lendemain du 1er juillet 2024 se trouvaient sans logis. Au risque de répéter ce que l’on entend depuis des années, la crise du logement est désormais considérée comme le problème social et économique le plus important au Québec par plusieurs. Passées au crible, les causes de la crise du logement sont désormais bien connues de tous : les loyers en hausse, les taux d’inoccupation trop bas, la croissance de la population, notamment due à l’afflux des populations immigrantes, et le manque de nouvelles constructions résidentielles n’en sont que quelques exemples.


Chaque 1er juillet, des organismes comme le FRAPRU ou le Regroupement des comités logement se font entendre sur toutes les tribunes pour dénoncer les ravages de la crise du logement. Les journalistes n’ont plus besoin de chercher bien loin pour leur prochain reportage ; une entrevue avec une victime de cette crise est un sujet garanti pour attirer l'attention du public et des politicien.e.s. Cette crise est devenue si vaste et médiatisée qu’on néglige parfois de l’examiner avec les subtilités nécessaires. En effet, un problème si complexe ne peut être lu qu’à l’aide d’une seule loupe : la crise du logement qui atteint les travailleur.se.s de la classe moyenne ne peut pas être abordée de la même manière que celle qui affecte les prestataires d’aide sociale, ou que celle qui touche les nouveaux arrivants au pays, par exemple. Leurs ressources financières et leurs besoins étant différents, il est crucial d’adapter les solutions et les interventions en fonction des spécificités de chaque groupe. Le risque d’amalgamer toutes les réalités sous le même parapluie de la « crise du logement » est un exercice dangereux qui discrimine les véritables victimes de ceux qui tirent profit de ce phénomène pour exiger le soutien du gouvernement.


Pour les fins de cet article, je me pencherai sur la situation du logement québécois à l’intersection des programmes d’assistance sociale et sur la manière dont ils sont en réalité des vases communicants symptomatiques d’un même problème : l’inefficacité des politiques sociales.


Le piège de la pauvreté

John Stuart Mill, dans ses Principles of Political Economy, abordait la lutte contre la pauvreté en ces termes : « Comment offrir une aide généreuse aux plus démunis tout en minimisant l'incitation à la dépendance ? » Il soulignait ainsi le dilemme épineux entre efficacité et équité auquel toute politique de sécurité sociale fait face. Bref, après avoir joué le rôle de bouée en offrant des prestations de secours lors de la dépression économique des années 1930 où le taux de chômage avait explosé, l’État québécois a implanté son premier programme d’aide sociale en 1969. À l’époque, 30% des prestataires étaient aptes à travailler. Cette proportion est désormais au-delà de 80% aujourd’hui. En 1989, une réforme majeure qui a suscité de nombreux débats dans les journaux de l’époque a été adoptée. Cette réforme fondait son facteur discriminant sur les catégories médicales des prestataires : sans contrainte, avec contraintes temporaires et avec contraintes sévères à l’emploi. Suivant la mouvance des programmes sociaux de Ronald Reagan aux États-Unis, le facteur déterminant du chèque reçu est l’indice d’employabilité. Après évaluation de la santé mentale et physique de la personne, si celle-ci était jugée apte à travailler, elle devait participer à une activité de réinsertion sous peine de voir sa prestation réduite au strict minimum. Ainsi, si la personne avait la capacité de travailler, mais qu’elle choisissait de ne pas le faire, cela se traduisait par une diminution du montant de son chèque. Se voulant un programme d’aide guidé par des valeurs humanistes, plusieurs ont critiqué la saveur marchande de cette réforme, ainsi que son objectif « discriminant et réactionnaire » de plein emploi. Depuis ce temps, les programmes d’assistance ont évolué. Les catégories médicales demeurent la pierre angulaire des barèmes de l’aide sociale, mais la contrainte de participer à une activité de réinsertion (salaire reçu pour un retour à l’école, formation rémunérée, participation au carrefour-emploi, etc.), elle, a été enlevée, laissant l’opportunité aux prestataires d’en faire une, ou non.


Il va sans dire que la crise du logement affecte disproportionnellement ceux et celles qui bénéficient de moins de ressources financières, comme les prestataires d’aide sociale. Les plus pauvres, souvent les plus vulnérables et les moins aptes à faire face aux changements, ont des ressources financières et sociales limitées les privant du coussin de sécurité dont d’autres bénéficient. En effet, la 3e cause de perte de logement au Québec est l’insuffisance des revenus. À Montréal, entre 2014 et 2022, les loyers pour un studio ont grimpé de 38%, tandis que les prestations d’aide sociale ont augmenté de seulement 19% pour la même période. Quand on fait référence aux « prestations d’aide sociale », on ne s’intéresse ici qu’au programme venant en aide aux individus employables, disponibles et ne présentant aucune contrainte à l’emploi. Les étudiant.e.s à temps plein n’y ont pas accès.


Cela témoigne d’une incroyable force de nos programmes d’assistance de pouvoir répondre rapidement à la demande de ceux et celles dans le besoin. Toutefois, il faut se demander si nous n’avons pas perdu de vue l’objectif original, quand le rapport statistique sur la clientèle des programmes d’assistance 2024 enregistre une durée moyenne de passage sur le programme d’aide sociale de 9.2 ans et que l’on constate les handicaps sociaux qui s’aggravent une fois inscrits. En 2023, 116 727 personnes adultes bénéficiaient de prestations d’aide sociale et l’âge moyen était de 42 ans.


Une importante majorité de la clientèle du service de référence est prestataire d’aide sociale. Au fil des années, la situation de cette clientèle s'est détériorée. Les accompagnements fournis par l'équipe sont devenus de plus en plus complexes, car, pour plusieurs, perdre un logement dans un contexte de crise du logement ne signifie pas seulement perdre un toit, mais aussi perdre leur seule chance d’être logé. En effet, l’état du marché locatif s’est tellement détérioré pour les ménages à faibles revenus que trouver un logement abordable est devenu un véritable casse-tête. Ce sont des vies complètement bouleversées, souvent sans perspective de sortie autre que les logements subventionnés. Les enjeux de santé mentale se sont intensifiés, les situations familiales dysfonctionnelles se sont aggravées et les ressources psychosociales insuffisantes augmentent considérablement le risque de tomber dans l’itinérance. Les problèmes de consommation ainsi que le chômage permanent au sein de ces populations contribuent également à leur fragilité. Le logement représente souvent le dernier fil d’attachement avec le reste de la société; une fois ce lien rompu, c’est la rue qui les attend.


Une étude s’est penchée sur ce phénomène de dépendance aux régimes d’aide sociale et a identifié certains facteurs contribuant. Parmi ceux-ci figurent les avantages liés à une longue durée de participation à ces programmes, comme les soins dentaires et la garderie payés après 12 mois consécutifs passés sur le programme d’aide. L’étude met également en évidence le risque que la réception de ces prestations transforme parfois un état de pauvreté temporaire en état de pauvreté permanente, en raison de la perte de capital humain nécessaire pour trouver un emploi et de la discrimination des employeurs envers ceux qui ont été bénéficiaires d’aide sociale.


Pour évaluer cette dépendance, le taux de sortie est une donnée pertinente. Analysant la probabilité qu’un ménage quitte l’aide dans un délai fixé, on remarque que 34% des ménages réussissent à quitter à l’intérieur des six premiers mois après leur entrée, généralement grâce à l’obtention d’un emploi ou d’un changement dans l’état matrimonial. Un second 34% parvient à quitter lors des douze premiers mois après leur entrée. Ce taux diminue à 24% pour ceux qui sortent au courant des 18 premiers mois, et chute à 10% après cinq ans depuis l’entrée sur le programme d’aide. Les chances de sortie sont considérablement réduites après une longue période passée sur ces programmes. Ce n’est pas étonnant que les passages de longue durée (5 ans et plus), représentant plus de 54% des cas, accaparent 90% du budget. Ceux de 8 ans et plus, quant à eux, représentent 39% des cas. Il est difficile de comprendre une telle inertie, et surtout, notre tolérance collective à son égard.


En assouplissant les contraintes et la surveillance des recherches d'emploi, et en investissant à peine dans les programmes de réinsertion professionnelle (moins de 2 % des assistés sociaux y participent), nous contribuons à creuser le fossé des inégalités et des disparités de richesse en maintenant cette population dans un état de subordination. Nous avons acheté la paix pendant des années en versant des chèques mensuels de 850 $ à quiconque le demandait, mais en repoussant constamment le problème sous le tapis, il a pris de l'ampleur. Pour les bénéficiaires de l'aide sociale qui perdent leur logement, les logements subventionnés sont souvent leur seule issue, le reste du marché locatif étant devenu hors de portée. Les programmes tels que l’aide sociale n’ont pas été conçus pour la situation économique actuelle. Avec des revenus minimaux orbitant autour des 850$/mois et les prix des studios débutant à 1000$ et les 3 ½ à 1200$, il faut être créatif pour se loger quand notre seul revenu est le chèque du gouvernement. Lorsqu’on a passé des années sans avoir à faire de démarches, sans avoir à se débrouiller et sans être autonome, le sentiment d’avoir des droits acquis s’installe inévitablement, avec l’idée que la société nous est redevable, autant pour leur source de revenus que pour le logement. Vivre à la charge de la société constitue une anomalie qui s’enracine de plus en plus profondément chez une partie importante des prestataires. Ce sentiment est exacerbé en temps de crise, lorsque l’État est blâmé pour tous les dysfonctionnements du marché locatif. Bien qu’une part du blâme lui revienne, il n’est pas de la responsabilité de l’État d’absorber toutes les dépenses à perte; il est nécessaire de fournir aux gens les outils pour développer une plus grande autonomie financière, leur donner les ressources pour qu’ils subviennent eux-mêmes à leurs besoins. Nos modes de fonctionnement actuels ne permettront pas d’atteindre cet objectif.


Plutôt qu’investir des sommes extravagantes dans des projets de construction de logements HLM, qui représentent une véritable débâcle économique et qui maintiennent le déséquilibre du marché locatif, il est crucial de considérer des solutions de logements et d’emplois intelligents et durables. Cela s’organise d’abord en rendant le marché montréalais attrayant pour les promoteurs immobiliers résidentiels et en investissant dans les programmes de supplément au loyer pour que les gens aient accès à une aide du gouvernement orientée directement dans leur relogement sur le marché privé.


Cette approche doit être synchronisée avec des projets de réinsertion, notamment en adaptant les mesures d’aide en fonction du profil des individus. Pour la clientèle plus vulnérable, atteinte de problèmes de toxicomanie ou de santé mentale, une aide prolongée dans une optique de santé publique pourrait s’avérer bénéfique sur le long terme, plutôt que de suivre une politique d'aide financière traditionnelle. Pour les prestataires de court passage (un an et moins), les chèques constituent la meilleure forme d’aide, mais ils deviennent un piège pour les nouveaux prestataires qui démontrent un risque élevé de chômage prolongé, renforçant leur dépendance et leur passivité. Une incitation accrue pour s’inscrire aux programmes de réinsertion professionnelle et rendre les prestations minimales moins attrayantes sont quelques manières d’atteindre ce but d’autonomie de gestion, d’atteindre ce véritable « bien-être social ».

Image: Fédération des Locataires d'Habitations à Loyer Modique du Québec

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