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Georgia on my mind, la chance inespérée des démocrates

Auteur·e·s

Félix Ouellet

Publié le :

11 novembre 2020

Il aura fallu cinq jours aux Américains pour connaître officiellement l’identité de celui qui élira domicile dans l’aile Ouest de la Maison-Blanche pour les quatre prochaines années. La figure polarisante du président Trump aura constitué l’essentiel de l’attention portée par les médias québécois lors de la course vers les 270 grands électeurs requis. Ce que la plupart des Québécois ont moins eu la chance d’observer, c’est la chaude lutte vers l’obtention d’une majorité au Sénat, clé d’une administration capable d’imposer ses visées. Voici l’histoire d’une course largement ignorée, mais tout aussi essentielle, voire davantage, que la présidentielle.


Le Red Mirage : Déception initiale chez les bleus


Alors que les bureaux de vote fermaient le 3 novembre, de nombreux Américains s’attendaient à une victoire décisive et rapide de Joe Biden, le candidat démocrate. Les journaux et les sites de projections électorales donnaient tous un avantage définitif à l’ancien vice-président dans les sondages. Or, plus la soirée avançait, plus les états clés - les fameux swing states - se coloraient en rouge. Il en était de même en Géorgie, État du sud traditionnellement républicain. Si Biden avait eu de bons sondages dans cet État, tout comme l’organisatrice locale Stacey Abrams, cheffe des démocrates (minoritaires) à la chambre des représentants de la Géorgie, d’aucuns se voyaient surpris de constater un avantage républicain.


Il en allait de même pour les deux élections sénatoriales se tenant dans l’État. Considéré comme compétitif, le candidat démocrate Jon Ossoff affrontait David Perdue, sénateur républicain de l’État depuis 2015. Dans le cadre d’une élection partielle, le Pasteur Raphael Warnock affrontait sa principale opposante Kelly Loeffer, multimillionnaire conservatrice républicaine, ainsi qu’un second candidat républicain, Doug Collins. En effet, Collins, un représentant ultraconservateur, avait rejoint la course pour souligner les positions trop libérales de Loeffler, menant les deux candidats à une escalade de positions de plus en plus à droite pour obtenir le vote conservateur. Si la course extraordinaire portait en avance Warnock, Ossoff accusait un retard dans sa course contre le sénateur en poste, David Perdue.

Gagner un siège leur suffirait pour arriver à l’égalité recherchée et faire intervenir Harris.

Les votes par la poste, Atlanta et le suspense


Tandis que la Floride avait été déclarée gagnante pour le camp républicain lors de la soirée du 3 novembre, le sort de la Géorgie restait flou. L’avance du Président Trump avait semblé, à première vue, confortable. Mais comme au Michigan et au Wisconsin, le dépouillement massif des votes reçus par la poste en raison de la pandémie de COVID-19 paraissait renverser la tendance. Alors que le dépouillement des comtés ruraux largement républicains s’était déroulé de manière assez rapide, le dépouillement des votes urbains, largement démocrates, prenait plusieurs jours. Avec des résultats écrasants pour Biden dans les résultats des votes postaux, l’avance de Trump en Géorgie a fondu comme neige au soleil, Biden venant finalement dépasser le candidat républicain.


Si les résultats présidentiels viraient au bleu, les résultats des courses sénatoriales restaient rouges, certes, mais très pâle. Dans la plupart des autres États américains, une victoire, même lorsque que mince, conclut une élection. Pas en Géorgie.


Loi électorale et la seconde chance d’avoir la majorité sénatoriale


La loi électorale de l’État de la Géorgie oblige la conduite d’un deuxième tour si aucun des deux candidats ne reçoit 50 % des votes. Alors que nous ne connaissons pas les résultats définitifs des deux courses sénatoriales géorgiennes, nous savons qu’elles se solderont par des deuxièmes tours. Une issue qui a de quoi enchanter les démocrates à l’échelle du pays. La tenue d’un deuxième tour offrira une seconde chance d’obtenir une majorité sénatoriale au congrès et d’ainsi permettre à l’administration Biden d’agir sans avoir les mains liées par le bon vouloir et la coopération des sénateurs républicains, notamment leur leader, le sénateur Mitch McConnell, reconnu pour son inflexion.


Le Sénat des États-Unis occupe une place centrale dans le processus législatif américain. Plusieurs votes doivent y être ratifiés et d’importants processus législatifs y sont écrits. Un Sénat qui n’affiche pas la même couleur qu’un président peut considérablement limiter les possibilités de ce dernier. Comme cela a été le cas au cours du second mandat de l’administration Obama, les démocrates pourraient bien souffrir d’un Sénat majoritairement républicain au cours des quatre prochaines années.


L’objectif était donc évidemment de se positionner de manière à pouvoir remporter un minimum de 50 sénateurs. Avec un Sénat également divisé et des votes sans issue, la constitution octroi le 51e vote à la vice-présidente Kamala Harris, en l’occurrence une démocrate, donnant ainsi le champ libre afin que l’administration présidentielle puisse passer les législations qui lui conviennent. Les démocrates cumulent présentement 49 sièges en faisant fi des seconds tours à venir. Gagner un siège leur suffirait pour arriver à l’égalité recherchée et faire intervenir Harris. Voilà pourquoi le Sénat se révèle si essentiel, voilà pourquoi les seconds tours en Géorgie seront également essentiels et voilà où iront les milliards de dollars partisans dans les prochains mois : à Atlanta.


Des milliards de dollars vers Atlanta


Avec un enjeu aussi fondamental pour la nouvelle administration que le contrôle des sièges sénatoriaux, le scénario d’un déversement massif de fonds dans les deux campagnes semble devenir inévitable. Déjà, la campagne présidentielle de 2020 aura été la plus dispendieuse de toute l’histoire, et il y a fort à parier que les deux postes de sénateur se monnayeront à des niveaux records. Pour les démocrates, le contrôle du Sénat deviendrait la clé vers un mandat à la fois plus simple et plus efficace. Pour les républicains, la perte des sièges sénatoriaux serait un retour à la minorité sénatoriale qu’ils ont connu avant 2012.


Pour bien comprendre l’étendue des rentrées de fonds possibles dans les coffres des deux partis, il faut se rappeler que la législation américaine par rapport aux partis politiques est bien plus large que celle présente au Québec et au Canada. Le plafond des dons permis aux partis politiques, limité sur une base individuelle, ne l’est pas lorsqu’ils sont destinés à des groupes d’action politique, les Super Pacs. Ces mêmes groupes peuvent ensuite contribuer de manière illimitée à des campagnes électorales X ou Y. Mis à part l’aspect de la possibilité de recevoir des dons illimités, les Super Pacs sont aussi en mesure de recevoir de l’argent provenant d’entreprises privées ou de syndicats. Compte tenu des nombreuses répercussions possibles sur les différents groupes de pression qui composent la société américaine, il ne fait aucun doute que ceux qui veulent voir un Sénat rouge comme bleu vont investir des sommes faramineuses dans les élections sénatoriales de deuxième tour en Géorgie.


Stacey Abrams, l’arme secrète démocrate ?


À la suite de la surprise initiale qui a suivi le passage de la Géorgie dans le giron du parti démocrate, un nom a été soulevé comme un des ingrédients principaux de cette victoire : Stacey Abrams. Présentement cheffe de la minorité démocrate à la chambre des représentants de la Géorgie, Abrams a été maintes fois félicitée pour l’organisation du travail de terrain qui a visiblement fait la différence dans l’atteinte de la faible marge qui a poussé les démocrates à gagner la Géorgie.


Membre de la populeuse communauté afro-américaine de l’État, madame Abrams a su susciter la votation plus large des communautés afro-américaines de l’État. Les quatre années au pouvoir du président Donald Trump auront été marquées par des difficultés avec les communautés minoritaires de son pays et auront ravivé les tensions raciales qui y existent. L’année 2020, plus particulièrement, aura été le théâtre de tensions raciales importantes à la suite de la mise en exergue des violences policières vis-à-vis la minorité afro-américaine et une montée en importance du mouvement Black Lives Matter.


Tous les yeux se portent sur la Géorgie


L’issue de l’élection présidentielle, l’attente des résultats, le refus de concéder la victoire de Donald Trump et l’historique percée de Kamala Harris – première femme et afro-américaine vice-présidente – auront contribué à minimiser l’importance de la tenue prochaine des deuxièmes tours en Géorgie. Mais ne nous y trompons pas, une fois la cohue des premières semaines passées, tous les yeux se braqueront sur la Géorgie, qui deviendra le combat le plus essentiel du début de la présidence de Biden, voire de sa présidence au complet.

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