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Génocide arménien 2.0

Auteur·e·s

Pascale Baghdisar

Publié le :

1 novembre 2020

Sous le couvert de la Première Guerre mondiale, entre 1915 et 1923, 1,5 million d’Arméniens ont été massacrés (1), dont ma propre famille. Jusqu’à ce jour, le génocide des Arméniens commis par l’Empire ottoman reste sans conséquence juridique (2). Malheureusement, le génocide arménien n’est pas seulement un événement historique. Le peuple arménien fait face à son deuxième génocide (3) aujourd’hui et le monde reste silencieux. La promesse de « Never Again » est rompue.


Contexte historique


L’Arménie est l’un des plus anciens pays du monde. Son histoire remonte à plus de 3 500 ans. À son apogée, sous Tigrane Le Grand, l’empire s’étirait de la mer Caspienne à la mer Noire et à la mer Méditerranée (4). Évidemment, les guerres et les conquêtes ont façonné le territoire arménien au fil du temps.


Le génocide arménien commence en 1915. L’Arménie perd près de 90 % de son territoire, sans oublier 1,5 million d’habitants. La plupart des survivants qui avaient tout perdu ont émigré bien malgré eux vers d’autres pays pour assurer leur survie.


En 1918, l’État de l’Azerbaïdjan naît sur les terres arméniennes volées lors du génocide arménien. L’Azerbaïdjan et la Turquie sont turcophones. Ils se considèrent comme « une nation, deux États ». Ils entretiennent des relations cordiales entre eux, mais surtout, une complicité face au génocide arménien, et ce, jusqu’aujourd’hui (5).


Ce n’est toujours pas la fin du génocide. De 1918 à 1920, des Arméniens sont massacrés systématiquement par les Azéris cette fois. Entre 1918 et 1920, des dizaines de milliers d’Arméniens sont tués à Baku, la capitale de l’Azerbaïdjan, à Khaibalikend et à Shusha, deux villes situées au Haut-Karabakh (3). Je reviendrai sur la situation du Haut-Karabakh un peu plus tard. Évidemment, ces massacres sont également accompagnés de la destruction massive des monuments historiques, des écoles, des églises et de l’éviction des Arméniens pour purger leur présence dans la région. Ces massacres ne font qu’accentuer la méfiance des Arméniens envers les Azéris.

La couverture médiatique faite à ce sujet est souvent malheureusement trompeuse puisque le curseur de l’histoire est placé à la mauvaise date.

Première image: Source de la photo : The Armenian Genocide Museum Institute, [En ligne], http://www.genocide-museum.am/eng/mapping_armenian_genocide3.php

Légende de la première image :


La partie foncée est le territoire de l’Arménie avant 1915 (soit avant le génocide arménien).

La partie rouge pâle est le territoire actuel de l’Arménie (à gauche) et du Haut-Karabakh (à droite).


Les flèches rouges représentent les marches vers la mort : les Arméniens ont été forcés à marcher vers leur mort.


Les points rouges représentent les sites de massacres. La grosseur du cercle représente l’ampleur des massacres. Il est à noter qu’il y a un point rouge en Syrie parce que la destination finale de la marche vers la mort était le désert de Deir ez-Zor (Vallée de l'Euphrate) en Syrie.

Deuxième image: Source : “Nagorno-Karabakh:

The Volatile Core of the South Caucasus”, Geo History,26 février 2017, [En ligne],  https://geohistory.today/wp-content/uploads/2017/02/dc910e22eb8b12365779c442a2c66d56.jpg  [1]

Légende de la seconde image :


La partie brune est ce que les Azéris considèrent comme le Haut-Karabakh (synonyme de Nagorno-Karabakh, Nagorno veut dire « Haut »).


La partie orange incluant la partie brune est ce que les Arméniens considèrent comme l’Artsakh. Il est à noter que cette partie est presque entièrement peuplée par des Arméniens.


L’Union soviétique : source du conflit au Haut-Karabakh


En 1921, l’Union soviétique met fin à ces massacres. L’Arménie et l’Azerbaïdjan font désormais partie de l’URSS. Les Arméniens sont alors protégés par les Russes, que ce soit en Arménie ou dans la région du Haut-Karabakh ou même en Azerbaïdjan. Cependant, cette paix est temporaire : en avril 1920, Staline décide de donner la région du Haut-Karabakh, une région composée à plus de 90 % d’Arméniens, à l’Azerbaïdjan (allié de la Turquie) comme cadeau sous la devise « diviser pour mieux régner ». En 1923, Staline révise sa stratégie et déclare cette région comme autonome (6). Les Arméniens revendiquent cette région puisqu’elle est habitée majoritairement par des Arméniens et qu’elle est historiquement arménienne. En effet, le monastère Amaras, devenu la première école arménienne au monde datant du 5e siècle, est justement située dans cette région (3). Les Azéris revendiquent cette région, car Staline la leur avait donnée comme cadeau sans l’autorisation des Arméniens, bien sûr.


À partir de 1988, la chute de l’Union soviétique se fait sentir et les tensions entre les Arméniens et les Azéris s’accumulent. En février 1988, l’assemblée générale de la région autonome du Haut-Karabakh a voté pour dissoudre son statut autonome et pour réintégrer l’Arménie. En réponse à cet événement, des centaines d’Arméniens sont tués à Sumgait, à Kirovabad et à Baku (ces villes sont situées en Azerbaïdjan) entre 1988 et 1990 (7). C’est en quelque sorte un signal qui est envoyé aux Arméniens.


Entre 1988 et 1994, une guerre a éclaté entre le Haut-Karabakh et l’Azerbaïdjan, faisant près de 30 000 morts au total. Un cessez-le-feu est signé en 1994. Parallèlement à cette guerre, le Haut-Karabakh entame des procédures législatives pour se séparer de l’Azerbaïdjan.


L’indépendance du Haut-Karabakh


Malgré tout, le Haut-Karabakh déclare son indépendance de l’URSS le 2 septembre 1991 par proclamation. Le 26 novembre 1991, l’Azerbaïdjan met fin au statut autonome qui été accordé au Haut-Karabakh. Cela n’empêche pas la tenue d’un référendum au Haut-Karabakh le 10 décembre 1991 qui a été approuvé par une majorité de 99,98 %.


« Ainsi, la population du Haut-Karabakh a pu, il y a presque 30 ans déjà, disposer d’elle-même et déterminer librement son statut politique. L’Azerbaïdjan n’a jamais voulu prendre acte de cette démarche d’autodétermination et respecter la volonté si clairement exprimée par une population. » (8)


Il est aussi important de préciser que le Haut-Karabakh est un État de facto. Il a un gouvernement séparé en trois branches : exécutif, législatif et judiciaire. Il y a eu plusieurs élections où il y avait plusieurs partis politiques (9). Bref, ce n’est pas une dictature déguisée, c’est une démocratie en émergence (il reste encore du progrès à faire). L’État du Haut-Karabakh a ensuite changé son nom pour la République démocratique d’Artsakh. L’Artsakh a son propre drapeau et a une ambassade en Arménie. Il a aussi sa propre constitution.


Les agressions azéris-turcs du 27 septembre


Depuis le 27 septembre 2020, les Arméniens d’Artsakh sont attaqués par les Azéris. La Turquie s’est aussi impliquée dans ces agressions en envoyant des armes (10), des mercenaires jihadistes syriens (11) et des combattants turcs (12) pour aider l’Azerbaïdjan. Le plan ultime de la Turquie est d’unir les peuples turcophones (panturquisme) et de recréer l’Empire ottoman (néo-ottomanisme) (13). Bref, c’est une question d’expansion territoriale. L’Artsakh et l’Arménie sont les seuls obstacles sur leur chemin. Le gouvernement azéri veut reprendre possession de l’Artsakh et ne s’arrête à rien pour atteindre son but.


Voici une liste non exhaustive des crimes de guerre qui ont été commis par l’Azerbaïdjan :


  • Tirs délibérés d’obus sur des infrastructures civiles (14) telles que des écoles maternelles et primaires (15), des maisons et d’autres logements dans plusieurs villes et villages à Artsakh;

  • Utilisation d’armes à sous-munition sur des populations civiles à Artsakh (16);

  • Bombardement de la Cathédrale Ghazanchetsots (13) où des civils et des journalistes avaient pris refuge;

  • Bombardement d’un hôpital (14);

  • Utilisation des uniformes militaires des Arméniens par les Azéris pour semer la confusion (17);

  • Torture, massacre, démembrement et décapitation des prisonniers de guerre, ce qui est souvent filmé et diffusé en ligne (18);

  • Non-respect des trois cessez-le-feu humanitaires qui ont été signés les 10, 18 et 26 octobre 2020.

Quelques faits sur l’Azerbaïdjan qui sont pertinents:


  • Il y a un sentiment de haine qui est cultivé par les Azéris envers les Arméniens (3). Le mot « Arménien » est même utilisé comme insulte par les Azéris;

  • Le gouvernement azéri nie encore le Génocide arménien de 1915-1923, tout comme le gouvernement turc;

  • L’Azerbaïdjan est classé 168e sur 180 dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2020 (19). L’accès aux journalistes internationaux sur le front de guerre est interdit. Les journalistes sont acceptés au pays, mais leurs propos sont surveillés et leurs contacts avec la population sont limités (20). En guise de comparaison, l’Arménie est classée 61e selon le même classement. Aucun classement n’est disponible pour Artsakh, qui n’est pas encore considéré comme un État souverain par la communauté internationale;

  • Ilham Aliyev est le président de l’Azerbaïdjan depuis 2003 (21), ayant succédé au règne de son père (1993-2003) (22). Il y a une centaine de livres publiés sur Aliyev : un vrai culte de la personnalité. Sa femme, Mehriban Aliyeva est la vice-présidente depuis 2003 (23);

  • Le Freedom House donne un score de 10 % pour le Global Freedom Score de l’Azerbaïdjan. Pour comparer, la Corée du Nord a obtenu un score de 3 %;

Les manifestations de la diaspora arménienne


Depuis le 27 septembre, des centaines de milliers d’Arméniens ont manifesté pour la Reconnaissance de la République d’Artsakh et pour la condamnation des agressions azéris-turques. En date du 25 octobre 2020, à Montréal et à Ottawa, il y a eu déjà neuf manifestations, rassemblant des milliers de personnes.


Avez-vous entendu parler de ces manifestations ? Je doute fortement que la réponse à cette question soit « oui », à moins que vous ayez des amis arméniens. La couverture médiatique faite à ce sujet est souvent malheureusement trompeuse (24) puisque le curseur de l’histoire est placé à la mauvaise date. J’ai pris le temps de faire une ligne du temps remontant à près de 100 ans, parce que cela est nécessaire pour comprendre les revendications des Arméniens. Je refuse d’appeler la situation à Artsakh une guerre parce que ce n’est pas une guerre, c’est un génocide. L’organisme Genocide Watch le confirme : l’Azerbaïdjan est rendu au stade 9 (Extermination) et 10 (Déni) des 10 étapes d’un génocide. Il n’y aura pas de paix dans cette région tant que la République d’Artsakh ne sera pas reconnue par la communauté internationale ni tant que les auteurs du génocide arménien ne seront pas condamnés. Il est même possible que ce génocide ait des répercussions mondiales si la Turquie et la Russie (alliée des Arméniens) décident d’intervenir directement. Il ne serait donc pas exagéré de dire que ce pourrait être le début d’un conflit mondial à cause du jeu des alliances.


Ce que vous pouvez faire pour aider


La première chose serait de faire entendre votre voix lors de l’Assemblée extraordinaire, le 9 novembre 2020, pour ajouter deux positions dans le cahier de positions de l’AED.


Vous pouvez aussi vous renseigner au-delà de cet article. Si vous êtes un adepte de films, je vous recommande de visionner The Promise (2016), du réalisateur Terry George, qui illustre le génocide arménien de 1915. Ensuite, vous pouvez signer des pétitions, faire un don à l’Armenia Fund (https://www.armeniafund.org/) et encourager des commerces locaux arméniens (25) qui donnent une part ou tout leur profit à l’Armenia Fund. Si vous êtes activiste de cœur, je vous encourage à participer à une manifestation pour la reconnaissance de la République d’Artsakh. Vous pouvez suivre la page Facebook du Comité national arménien du Québec - Armenian National Committee of Québec (26) pour plus de détails concernant les manifestations ou pour obtenir des nouvelles. Finalement, vous pouvez toujours m’envoyer un message privé si vous avez des questions ou si vous voulez en discuter. Je suis prête à entamer un dialogue.

Ce n’est pas assez de se souvenir du génocide arménien tous les 24 avril. Un génocide nié est un génocide répété. Le silence est une forme de violence.

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