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Fermée d’esprit, moi ?

Auteur·e·s

Sophia G. Toutant

Publié le :

19 novembre 2020

En tant qu’étudiante fraîchement débarquée à la prestigieuse Faculté de droit de l’Université de Montréal, ayant toujours fréquenté des milieux d’enseignement privilégiés se vantant de faire preuve d’ouverture d’esprit quant aux causes sociales et politiques et habituée de posséder une capacité d’argumenter et de réfléchir à des sujets complexes, je me suis toujours réjouie d’avoir reçu une éducation libérale. Peut-être est-ce l’orgueil de l’étudiant.e en droit ou l’arrogance de ma jeunesse, mais je me réconforte souvent dans l’impression que mes convictions sont les bonnes puisqu’elles ont comme fondement des valeurs nobles telles que la justice ou la compassion. Une vraie « gauchiste-social justice warrior-féministe-écoanxieuse » ou communiste pour les intimes.


C’est pourquoi, lorsque mon amie m’a avoué qu’elle écoutait quotidiennement et en alternance des podcasts de gauche et de droite, ma réaction immédiate fut la suivante : « Hein ? Comment ça ? Moi, je ne veux pas écouter les opinions de quelqu’un de droite avec qui je ne suis pas d’accord ».


Oups. Et voilà. Ma prétendue ouverture d’esprit progressiste, à l’opposé des soi-disant fermé.e.s d’esprit conservateur.trice.s, ou « boomers », a rejeté en bloc l’idée, uniquement pour quelques minutes, d’écouter les arguments de quelqu’un qui ne partageait pas mes opinions. Cela dit, mon amie m’expliqua par la suite qu’elle faisait cet exercice afin de confronter ses opinions et pour analyser un raisonnement adverse.


Devant nous s’érige le problème de la société actuelle dans laquelle nous vivons (on le sait bien, rejeter la faute sur « la société » est de mise) :la prétention que nous avons tous d’avoir foncièrement et sans l’ombre d’un doute raison, que notre opinion recèle la vérité ultime. Que notre opinion fait de nous les « héros » et que ce sont les autres, ceux qui ne partagent pas nos idées, qui sont les « vilains». Ah, mais comme ils sont vilains, ils ne nous comprennent pas ! Nous posons immédiatement un jugement, non pas sur la valeur de l’opinion, mais sur la personne  qui l’émet, c’est-à-dire un jugement moral sur la valeur de la personne reposant sur des apriorismes.


On reproche souvent aux conservateur.trice.s ou aux personnes plus âgées de faire preuve d’entêtement et de ne pas être à l’écoute des prétentions d’une partie adverse. Néanmoins, je crois que cette fermeture d’esprit à l’écoute des arguments de l’autre est également présente dans les espaces justement réputés progressistes et ouverts d’esprit. Paradoxe intéressant. Des milieux, qui, croyant être dotés de la vertu, regardent de haut ou méprisent ceux dont les opinions sont contraires aux leurs. Comme quoi être dans un milieu élitiste, ou faisant preuve de classicisme, nous rend parfois condescendants.

Des milieux, qui, croyant être dotés de la vertu, regardent de haut ou méprisent ceux dont les opinions sont contraires aux leurs.

Cet extrémisme dans nos convictions personnelles, hélas, nous mène à un problème fâcheux, tel qu’on l’a vu durant les élections américaines, celui de l’extrême polarisation. Deux Amériques tout à fait distinctes, où l’on est soit Démocrate, soit Républicain.ne, et pour certains, Gentil.le ou Méchant.e. On se retrouve ainsi dans un monde d’extrêmes, de « noir ou blanc », de « tout ou rien », d'absolu inébranlable. Que cela soit pour des questions de politique ou de valeurs personnelles, il est dorénavant difficile de faire preuve de nuance ou de discernement, fermant la possibilité à la discussion et au débat et cédant la place à l’attaque et à la confrontation. En posant ainsi un jugement hâtif sur une personne, on la relaie immédiatement dans un camp ou dans l’autre. « Telle personne a entièrement raison, et, puisque partageant mes convictions, elle est digne d’écoute, ou au contraire, en marge de mes opinions, et indigne d’écoute ».


Ainsi, à cause de cette extrême polarisation, certaines personnes reconnaissent avoir peur de s’exprimer, des représailles et d’être étiquetées comme de mauvaises personnes et ostracisées dans leur cercle social.


Cela mène à l’hésitation, voire même à la renonciation de se prononcer sur divers sujets sensibles, par peur d’en faire trop ou de ne pas en faire assez. Par exemple, en mars dernier, durant les événements du #BlackLivesMatter, beaucoup, dont moi, ont décidé de relayer sur les réseaux sociaux de l’information portant sur ce dernier sujet. De prime abord, cette intention, aussi noble soit-elle, mise en place pour s’informer quant à la lutte contre le racisme, tourna au vinaigre. Très vite, les un.es et les autres commencèrent à se pointer du doigt, s’accusant d'un « silence » sur les réseaux sociaux, c’est-à-dire que ne pas s’exprimer ou partager des informations équivalait à être assimilé.e au racisme. Par exemple, pour assurer la visibilité du mouvement #BlackLivesMatter, plusieurs publièrent sur leur fil d’actualité Instagram, durant une journée, un carré noir. Certaines personnes n’ayant pas accompli ce geste furent réprimandées et accusées de ne rien faire pour soutenir le mouvement. Or, ce jugement fut prononcé sans même tenir compte ou s’être renseigné sur les actions que ces mêmes personnes pouvaient avoir entrepris, dans leur vie personnelle loin des réseaux, pour soutenir cette cause.


Compte tenu de notre tendance à vouloir immédiatement catégoriser les gens comme « bons » ou « mauvais », ce manque de nuance ne laisse pas place à l’erreur ou même à l’apprentissage. Cette pression et cette culpabilité afin de bien agir ou de poser certains actes pour se conformer au « bon modèle » peuvent faire en sorte qu’un geste puisse n’être accompli que pour les apparences et cela remet en question sa valeur ou son bien-fondé. Je pense notamment au militantisme de façade, soit l’action de paraître impliqué.e dans une cause sociale, mais uniquement pour bien paraître ou pour obtenir l’approbation de la masse, sans nécessairement croire ou prendre des actions concrètes quant à l’enjeu en question ; comme le fait de publier un carré noir sans comprendre sa portée ou sans réellement prendre des mesures contre le racisme, et uniquement pour se donner l’air woke.


Cette extrême polarisation fait également en sorte que toute personne qui ne défend pas sa cause à 100 % peut être perçue comme faible, oscillante, comme si elle n’adhérait pas suffisamment à la cause pour la défendre sur toute la ligne. Or, je ne crois pas qu’essayer de comprendre les motivations de l’autre partie, d’user de nuance et d’empathie pour tenter de voir les motifs d’une position adverse relève nécessairement de la renonciation à ses idéaux. User de nuance face à une idée n’est pas synonyme de ne pas suffisamment y croire, mais est le reflet de l’exercice, encore plus difficile, de ne pas se cloîtrer dans l’absolu et de se garder une part de doute dans ses convictions. Je ne pense pas non plus qu’il faut être d’accord avec chaque proposition adverse soulevée. Je me garde de tomber dans des généralités telles que « toute opinion se vaut » ou « chacun.e a droit à son opinion ». Difficile serait-il d’admettre comme légitime des opinions remettant en cause les droits et libertés de certain.e.s. Cependant, il est possible d’accorder à l’autre le mérite d’écouter son point de vue avant d’en faire une délibération. Libre à vous ensuite d’approuver les propos soulevés ou non.


Je reconnais cependant que le fait d’aborder une question de façon nuancée, et de se permettre d’écouter les points adverses soulevés, au summum de l’objectivité, relève d’un privilège. Certains points, parce qu’ils nous affectent personnellement ou parce qu’ils devraient être considérés comme faisant l’objet de consensus universel, ne peuvent nous permettre de raisonnablement écouter les arguments de l’autre partie avec calme et rationalité. Il serait légitime pour une personne sujette à des actes de racisme de ne pas avoir le privilège, contrairement à d’autres, d’écouter les revendications d’une personne défendant un tel point de façon objective. Je ne vous cacherai pas qu’il m’est arrivé plus d’une fois de m’emporter contre la personne devant moi en discutant de féminisme, rejetant complètement ses propos et ses arguments qui divergeaient des miens, me fâchant et allant presque jusqu’à traiter de tous les noms mon opposant.e. Vous penserez que je me contredis, mais j’admets qu’il est, malgré tout, bien plus simple en théorie de faire preuve de patience et de nuance face à une personne qui remet en question un enjeu qui vous touche directement.


Ce qui me mène à mon point suivant. La situation que j’ai décrite plus haut, soit d’agir en diplomate, ou du moins, de faire preuve de nuance lors de discussions, peut sembler utopique. Car pour faire cela, bien-sûr, les deux parties doivent chacune être prêtes à écouter l’autre, à confronter leurs propres opinions, ce qui, en réalité, n’arrive presque jamais. Ainsi, on ne veut pas se donner la peine ou l’on n’est pas motivé.e à discuter avec des personnes dont les opinions diffèrent des nôtres.


Je pense notamment à l’auteure féministe Pauline Harmange, qui, dans un extrait de La Presse, en parlant de son dernier roman, tranche que bien que les hommes puissent être solidaires au combat des femmes, c’est un combat qui ne leur appartient pas et ces derniers ne peuvent donc se dire féministes (1). Bien que son point puisse être défendu, je prends cet exemple pour démontrer que fermer la porte à d’autres, en assumant immédiatement que ces derniers ne comprennent pas certains enjeux n’est pas nécessairement vrai. Certes, une personne n’étant pas directement touchée par un enjeu ne pourra jamais entièrement le comprendre, mais cela ne devrait pas mettre automatiquement fin à la discussion. Encore une fois, tout dépend de l’interlocuteur.trice, mais il faut reconnaître la capacité de certain.e.s à faire preuve d’assez d’empathie pour les considérer légitimes à prendre part à la discussion. Si l’on ne discute qu’avec des personnes ayant déjà les mêmes opinions ou expériences que nous, cela ne contribuera pas non plus à faire quelque changement. Chacune des parties n’écoutera que des opinions qui la réconfortera dans ses idées déjà acquises, telle une chambre écho, ce qui ne mènera pas à faire évoluer nos mentalités. Cependant, je rappelle qu’un tel échange entre parties adverses n’est possible que si les deux parties sont prêtes à faire un véritable effort d’écoute, non pas uniquement passif, mais également un effort basé sur l’initiative. Pour reprendre les propos de Pauline Harmange, l’éducation des hommes ou de toute personne ne reconnaissant pas l’enjeu du féminisme quant à l’égalité entre les sexes, ne devrait pas uniquement reposer sur les épaules des femmes. Ce n’est pas à elles seules de porter le poids de ce combat, et toute personne désirant réellement mieux comprendre un enjeu devrait y mettre du sien, sans uniquement compter sur le support des autres pour l’instruire en la matière.


En écrivant cette chronique, je me suis rappelée des mots que nous a partagés ma professeure de biologie de secondaire 3. Elle nous a enseigné que, biologiquement, plus nous vieillissons, plus il est difficile de changer, qu’on parle de nos habitudes ou de nos convictions. Ainsi, « les filles, si à 15 ans vous êtes déjà têtues et n’aimez pas vous faire remettre en question, la vie sera longue et difficile pour vous ». Alors, pour s’épanouir sur le plan personnel, ou même en tant que collectivité, gardons-nous d’être déjà borné.e.s dans nos idéaux et de faire preuve de cynisme. Faisons preuve de nuance et d’écoute envers l’autre, aussi ardu cela soit-il.

  1. Nathalie COLLARD, « Pourquoi Pauline Harmange déteste les hommes », La Presse, 6 novembre 2020 à 11h30, [En ligne] https://www.lapresse.ca/arts/litterature/2020-11-06/essai/pourquoi-pauline-harmange-deteste-les-hommes.php (consulté le 16 novembre 2020).

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