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Excursion sociologique dans un château fort libéral: le West Island et la culture québécoise

Auteur·e·s

Angel Sun-Veilleux

Publié le :

22 août 2024

Il était une fois, une jeune dame qui habitait un comté bien lointain, le West Island (à ne pas confondre avec « Montréal-Ouest ». Le West Island ici réfère aux municipalités telles que Pierrefonds, Pointe-Claire, Dollard-des-Ormeaux, etc. Celle-ci grandit bien lotie et fît son éducation à la même école privée, de la maternelle à la fin du secondaire. Ses pairs, enfants de la loi 101, dont plusieurs immigrant.e.s de première, deuxième ou troisième génération étaient de parfait.e.s bilingues (ou trilingues), puisqu’iels faisaient leur éducation formelle en français tout en baignant dans un environnement anglophone. Une fois son premier diplôme en main, elle choisit de quitter son comté pour intégrer un nouveau milieu tout aussi nanti, mais différent de celui qu’elle avait connu, le Collège Jean-de-Brébeuf. Ce sont lors de ces années formatrices, isolées malgré elle par la peste noire qui sévissait, que la dame fît la découverte d’œuvres qui allaient profondément chambouler son existence : Bell Hooks, Bourdieu, Arendt …

Discrètement, elle se trouva une passion pour de nouvelles formes d’arts notamment le théâtre et les films indie. Comment n’avait-elle jamais connu ce riche monde auparavant ? La fracture fut non seulement idéologique, mais également géographique. Plus jamais, en tout cas dans l’immédiat, elle ne put réellement réintégrer le far west. Ce qui me mène aujourd’hui à me pencher sur mon passé et sur la manière de briser l’enclave culturelle du West Island.

Le rejet de cette culture, que ce soit consciemment ou pas, est assez total. Sa présence se résume pour la plupart à des lectures et sorties forcées dans le cadre scolaire, à des élèves qui sont justement forcés d'étudier en français.

Les origines

Pour plusieurs, le West Island « c’est, genre, Dorval ? ». Oui, techniquement, mais plus encore. Ce constat démontre bien que c’est une région de Montréal qui fait assez peu partie de l’imaginaire collectif. Lorsqu’il y a une couverture médiatique de la municipalité, ça va habituellement se limiter au REM qui arrive dans Pointe-Claire, au terrible hôpital Lakeshore ou à un assassinat d’un membre de la mafia italienne.


Le West Island est une banlieue anglophone avec beaucoup d’immigrant.e.s de la classe moyenne qu’on pourrait qualifier de new money, qui vont travailler dans l’industrie de la pharmaceutique, le web, etc. Le franglais y règne, lorsque ce n’est pas carrément l’unilinguisme anglophone qui est présent. Oui, c’est une banlieue avec ces belles maisons beiges de style McMansion sur le bord du boulevard Gouin (le beau bout), mais c’est aussi une véritable enclave.


C’est non seulement géographiquement éloigné, puisque séparé du reste de l’île par des autoroutes congestionnées et un manque apparent de transport en commun, mais également identitairement et culturellement différent. On pourrait me reprocher que le West Island n’est pas la seule banlieue parmi Montréal et ces couronnes qui est isolée : « Regarde Westmount, Châteauguay, Longueuil… », me dira-t-on. À cela, je répondrais que malheureusement je n’ai pas vécu toutes les expériences qu’il y a à vivre et que mes analyses sociologiques se basent sur le plus élémentaire, soit l’observation et le vécu.


La déconstruction

La première fois que j’ai réellement senti une appartenance à l’identité québécoise (et non de Canayenne ou de Mouréalaise) est lors de mon premier voyage en Europe en auberge de jeunesse, lorsque j’ai dû expliquer à des gens de l’international la différence entre les canadien.ne et les « French Canadian ». Non, nous ne sommes pas juste des Canadien.ne.s qui parlons français. En réalité, notre culture et notre langue sont constamment sous menace du Canada anglais et des États-Unis depuis la Conquête. D’innombrables coups bas peuplent notre histoire avec nos soi-disant compatriotes. Nous sommes le dernier îlot francophone, mais également le dernier îlot nord-américain à essayer de défier l’impérialisme culturel américain et— woah… je suis en train de déballer la cassette des souverainistes en ce moment. Ah, la souveraineté, un mouvement politique qui, à l’époque, me fascinait un peu comme les tapes VHS : ça me semblait un peu désuet, mais crime que le monde y était attaché. C’était une position très Gen Z, assez évidente pour quelqu’un comme moi, vu d’où je venais. En effet, malgré ce que certains pans du mouvement souverainiste essayaient de dire, je considérais que leur position était incompatible avec ma présence ici et généralement hostile aux personnes comme ma mère, une immigrante de première génération qui, sans vouloir faire trop écho au PDG cancelled de Air Canada, a vécu assez bien à Montréal avec un français de niveau « je te comprends, mais je réponds en anglais ». Malgré cela, son apport à la société est non négligeable et elle participe à la richesse du Québec.


Depuis ce temps, j’ai activement essayé d’en apprendre plus sur ce mouvement pour essayer de le comprendre pour de vrai dans une optique de remise en question de mes valeurs prises pour acquis.


Plus récemment, mes réflexions me sont venues suite à ma lecture de La liberté n’est pas une marque de yogourt de Pierre Falardeau. Falardeau est un cinéaste et documentariste québécois qui a également œuvré de manière acharnée pour la cause de la souveraineté au Québec. C’est celui qui a donné à la culture québécoise les Elvis Gratton. Pour ceux qui ne le connaissent pas, ou mes fellow Westislanders qui me lisent, Elvis Gratton est un personnage de film qui dénonce l’adoption de la culture américaine par les Québécois de manière extrêmement caricaturale, à la même époque que le référendum de 1980.


Le West Island dans tout ça?

Pierre Falardeau fait un argument convaincant sur le fait que le mode de vie à l’américaine, et plus particulièrement les banlieues, est un des plus grands détriments de la culture québécoise. En effet, c’est le plus bel exemple de l'impérialisme américain qui réussit à s’insinuer au sein de notre société et, surtout, d’être attrayant, du moins pour une partie de nos citoyen.ne.s. Après avoir lu l’œuvre de Falardeau, c’est définitivement le point de vue avec lequel je suis le plus en accord. Je considère que plusieurs des arguments pour le souverainisme sont irréalistes, voués à l’échec dans notre société d’aujourd’hui ou même carrément hypocrites. Par contre, je suis une assez grande hater des banlieues, que ce soit pour des raisons environnementales, sociétales ou économiques. Je veux donc bien leur donner un coup de pouce pour essayer de faire percer la culture québécoise-francophone au sein du West Island.


Le rejet de cette culture, que ce soit consciemment ou pas, est assez total. Sa présence se résume pour la plupart à des lectures et sorties forcées dans le cadre scolaire, à des élèves qui sont justement forcés d'étudier en français. Dans nos chez-soi, cela se ressent. La culture américaine et anglophone règnent en maîtres. Les cinémas jouent uniquement des blockbusters américains et, assez nouvellement, ont commencé à jouer des films internationaux en hindi, arabe, etc. Disons qu’on est loin du Cineplex du Quartier latin. Lors du temps des fêtes, j’ai voulu faire découvrir à ma famille et mes amies le film . Impossible d’avoir une représentation dans le West Island, sort assez ironique pour ce film sur l’histoire de Kim Thuy qui résonnait avec beaucoup de gens. « Oui, mais l’offre et la demande! Si cette offre ne se fait pas, c’est parce qu’ils n’en veulent pas. » Ma réponse viscérale à cet énoncé serait que l’économie c’est fake et les lois du marché aussi. Ma réponse plus raisonnée serait que, pour briser un cercle vicieux, il faut stimuler l’offre « artificiellement » dans l’espoir que la demande augmente et renverse le cycle.


Également, je ne peux pas enchaîner avec mes recommandations sans mentionner que les raisons de ce rejet de la culture québécoise et francophone sont assez nombreuses et variées. Certes, il y a une barrière linguistique et culturelle, mais plus que ça, les communautés anglophones et/ou immigrantes sont souvent pointées du doigt comme étant responsables du déclin de la langue française. Cela est évidemment fait sans prendre en compte qu'aujourd'hui, nous sommes tous.tes à la merci des GAFAM et de leur contenu particulièrement américano-centrique. Ce genre de discours et d’attaques ne fait qu’entraîner une réponse défensive et un cloisonnement, alors que ces communautés anglophones sont nos alliées dans ce combat et qu’il faut les traiter ainsi.


La percée

L’acculturation peut se faire de force, technique que je ne promeus en aucun cas, ou de gré. Elle peut cependant également être faite de manière enthousiaste et humaine. Pour cette deuxième manière beaucoup plus envisageable, il faut que la culture québécoise francophone soit attrayante et accessible. Voici donc quelques mesures envisageables.


En me basant sur le succès de l’émission Lakay Nou, je crois que les émissions québécoises se doivent d’illustrer beaucoup plus de réalités québécoises pour à la fois aller chercher plus d’auditoires, mais aussi pour faire découvrir les aspects des différentes communautés qui transcendent les cultures.


Également, plusieurs films ou documentaires québécois ont déjà été réalisés, sans avoir de plateformes adéquates pour que tous.tes y aient accès. L’inclusion récente d’œuvres québécoises sur de grandes plateformes américaines est une option, mais également les œuvres moins récentes ou moins connues se devraient d’avoir un hébergement virtuel. À quand un Criterion québécois ?


Le West Island est particulièrement démuni en termes d’attractions culturelles, que ce soit en termes de théâtres ou de musées, la majorité des attractions étant centrées autour de la nature. Une façon facile de rendre l’offre culturelle plus intéressante serait d’utiliser les centres communautaires pour avoir des expositions temporaires, une technique populaire en région. Ceci ferait en sorte d’inscrire cet arrondissement au sein du Québec et de Montréal, et non comme une simple banlieue extraterrestre.


Un des éléments les plus présents dans l’imaginaire québécois est la nature. Par contre, et c’est un constat qui pourrait être émis à l’égard de bon nombres de Québécois.ses, plusieurs personnes préfèrent aller découvrir les autres provinces canadiennes ou carrément aller aux États-Unis plutôt que d’aller en région au Québec. Ceci est surtout une réalisation assez déconcertante qui se devrait d’être analysée et qui a des causes assez larges. Certes, ça pourrait découler du constat que « si je vais faire 8h de voiture, je préfère être ailleurs que dans ma province». Des efforts pour rendre les déplacements interurbains en transports en communs plus accessibles pourraient être envisageables. Également, plusieurs régions font des efforts pour attirer des visiteur.se.s dans leurs villes et instaurer différentes attractions, telles que des festivals, des plages, de nouveaux restaurants, etc. Il ne reste plus qu’à ce que ça se rende aux oreilles de tous.tes.


Bref, redorer la culture québécoise et la rendre intéressante même pour des communautés cloisonnées telles que le West Island reste possible. Je chéris simultanément la culture francophone et mon West Island, et je crois qu’il y aurait beaucoup d’avantages à faire converger les deux. Également, plusieurs de ces recommandations seraient avantageuses pour des communautés autres que la mienne. I’m looking at you, les autres quartiers Bonjour-Hi (fort sur le Hi)…

Image: cinoche.com

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