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Auteur·e·s
Rafaelle Moreno-Beaulieu et Marwa Sebbar
Publié le :
19 avril 2023
La France, ça te paraît loin, et la retraite, encore plus…
Début mars, en France, on en était déjà à 1,28 million de manifestant⋅e⋅s, selon le ministère de l’Intérieur (ou, au choix, 3,5 millions selon la Confédération Générale du Travail (CGT)), dans les rues pour s’opposer à la réforme des retraites du gouvernement de la première ministre Élisabeth Borne. Cette réforme faisait en effet partie des promesses du premier mandat d’Emmanuel Macron, qui la savait déjà impopulaire. Elle prévoit reculer l’âge légal de la retraite de 62 à 64 ans ainsi que la fin de la majorité des régimes spéciaux. Le gouvernement parle d’une réforme nécessaire pour répondre au vieillissement de la population et aux problèmes de financement des retraites individuelles actuelles et futures, mais également à ceux du domaine public, exacerbés par l’augmentation de la dette nationale.
Les opposant⋅e⋅s dénoncent une réforme ayant pour effet de creuser les inégalités socioéconomiques déjà importantes dans le système de retraite actuel. C’est un régime social de mise en commun des richesses, c’est-à-dire que la population active cotise pour financer les retraité⋅e⋅s d’aujourd’hui.
Puisque le projet de loi sur la réforme des retraites a été initialement rejeté par l’Assemblée nationale, le 16 mars dernier, Élisabeth Borne a décidé de recourir à l’article 49.3 de la Constitution après consultation avec le Conseil des ministres. En effet, ce dispositif permet à un gouvernement d’adopter un projet de loi sans le faire voter par l’Assemblée nationale. Ce n’est cependant pas une sentence pour l’opposition, car elle a la possibilité de proposer une motion de censure, qui, si elle est adoptée par la majorité, entraîne le rejet du projet de loi ainsi que le renversement du gouvernement. Cette même motion de censure a été déposée à deux reprises par des partis différents, mais s’est vue écartée par manque de votes (ce lundi 20 mars, sur les 287 votes nécessaires, la motion n’en a recueilli que 278).
Depuis cette annonce, la population s’opposant à la réforme se mobilise avec encore plus d’ardeur.
Quelles sont les revendications des manifestant⋅e⋅s ?
Comme nous avons pu le voir dans l’actualité, les opposant⋅e⋅s à la réforme sortent dans les rues des grandes villes. Depuis le 19 janvier, nous en sommes déjà à neuf journées de mobilisation, et le mouvement persiste à travers des manifestations mouvementées et des appels à la grève, principalement dans les secteurs de l’éducation et des transports, mais également chez les éboueur⋅euse⋅s.
Les opposant⋅e⋅s dénoncent une réforme ayant pour effet de creuser les inégalités socioéconomiques déjà importantes dans le système de retraite actuel. C’est un régime social de mise en commun des richesses, c’est-à-dire que la population active cotise pour financer les retraité⋅e⋅s d’aujourd’hui. Les pensions sont calculées notamment en fonction de deux facteurs : le temps de travail accumulé (compté en trimestres) et le niveau de revenus. Il est facile de dire que ce n’est « que » deux ans de plus, mais ce ne sera pas le cas pour tou⋅te⋅s. Les personnes qui seront les plus touchées sont celles à faibles revenus et/ou dans des situations plus vulnérables. On peut penser entre autres aux mères, aux parents monoparentaux et aux personnes ayant des problèmes de santé physique ou psychologique.
Décaler l’âge de départ à la retraite signifie pour certains travailler dans des conditions parfois difficiles encore plus longtemps, entraînant un épuisement et donc des répercussions physiques et psychologiques, et cela pour une même pension de retraite. La question de la précarité de la situation des personnes âgées se pose notamment face aux problématiques de chômage et au manque d’accès à l’emploi auxquelles elles sont exposées. Par ailleurs, les jeunes se sentent également concerné⋅e⋅s. Cela peut paraître lointain, mais ce sont ceux et celles qui vont entrer sur le marché du travail qui feront face aux conséquences des réformes actuelles.
Face à ces revendications, le gouvernement tente de proposer des aménagements tels que les points de pénibilité pour les emplois les plus physiquement demandants, l’« index senior » pour revaloriser l’emploi des personnes âgées au sein des entreprises ou encore des surcotes pour les mères de famille proposées par le Sénat. On peut se demander si ces tentatives d’accommodement seront suffisantes face à une opposition qui persiste.
Le soulèvement populaire est-il le dernier recours ?
Devant l’utilisation du 49.3, un fort sentiment d’impuissance ressurgit. Malgré le rejet de la motion de censure, la légitimité d’une loi passée sans l’accord de l’Assemblée est remise en cause. Il est aussi important de rappeler que ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement a recours au 49.3, et, surtout, qu’une réforme des retraites fait face à la colère populaire.
Rappelons que manifester est un outil d’exercice de la démocratie, utilisé par une collectivité pour se faire entendre. La violence apparente des manifestations qui est mise de l’avant, notamment à l’international, en éclipse souvent les revendications. Ainsi, il est facile pour le gouvernement français de dénoncer cette violence et rappeler à l’ordre pour ne pas adresser les raisons du mécontentement, et, surtout, pour ne pas prendre en compte l’opposition. La violence ne serait-elle pas celle d’un gouvernement qui refuse d’entendre ses citoyen⋅ne⋅s?
Quelles en sont les conséquences ?
On peut se demander si le sacrifice des populations vulnérables est nécessaire au « fonctionnement d’une démocratie ». De nombreuses réponses alternatives sont proposées, notamment par les partis d’opposition, pour faire face aux problèmes économiques actuels que personne ne peut nier. L’augmentation des cotisations par les entreprises et une taxation des fortunes françaises en font partie. Ce sont finalement les retraité⋅e⋅s de demain qui subiront les conséquences des politiques actuelles.
Ainsi, certain⋅e⋅s ne se sentent pas concerné⋅e⋅s par ces considérations sociales, peut-être au profit d’une vision plus personnelle. Mais c’est surtout la question d’écart de richesse qui apparaît comme facteur de revendication opposé à un manifeste désintérêt du gouvernement.
Le mercredi 22 mars 2023, Emmanuel Macron a pris la parole concernant la réforme des retraites sur le plateau télé de TF1. Il se dit endosser les conséquences de la réforme, qu’il juge nécessaire. Peu avant cette entrevue, une phrase dite à ses député⋅e⋅s et relayée par BFMTV a retenu l’attention des médias : « Quand on croit à cet ordre démocratique et républicain, l'émeute ne l'emporte pas sur les représentants du peuple et la foule n'a pas de légitimité face au peuple qui s'exprime souverain à travers ses élus ». De tels propos ont fait polémique dans les médias. En somme, ne serait-ce pas la légitimité même du gouvernement qui est en jeu? Assistons-nous à son jugement dernier?
Sources citées :
« Le recours à l’article 49.3 de la Constitution : dans quels cas ? », site officiel de la République française, 17 mars 2023.
Mathieu Lehot-Couette, « Réforme des retraites : découvrez quels députés ont voté les motions de censure contre le gouvernement », France Info, 20 mars 2023.
Les Décodeurs, « Les questions pour comprendre la réforme des retraites: petites pensions, carrières longues et impact pour les femmes. », Le Monde, 16 mars 2023.
Simon Le Baron, « Macron à sa majorité : "L'émeute, la foule, n’ont pas de légitimité face au peuple qui s’exprime via ses élus" », France Inter, 21 mars 2023.