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Entretien avec Camilo Lapointe-Nascimento : Restauration et solidarité

Auteur·e·s

David Houle

Publié le :

1 septembre 2020

« Je préfère parler directement aux gens par téléphone que via les réseaux sociaux, on sent mieux les émotions de vive voix ». Voici l’une des premières phrases que Camilo me dit alors que nous tentons de nous trouver un moment pour cette entrevue. Dans mon livre à moi, ce genre de déclaration poétique sur les bords donne le ton à une discussion qui s’annonce fort intéressante.


Ce virage, était-il prêt à le prendre ? « Définitivement », me dit-il. Les réussites de la dernière année, en gagnant non seulement Les Chefs, mais aussi quelques mois auparavant le Hawksworth Young Chef Scholarship 2019, lui ont permis d’acquérir la confiance nécessaire pour foncer vers de nouveaux projets. Cette confiance, toutefois, s’est développée progressivement. Si le premier concours ressemblait davantage à une opportunité d’apprentissage servant à gagner de l’expérience (la victoire fut une totale surprise), il est arrivé chez Les Chefs prêt, et prêt à gagner.


J’ai rencontré quelqu’un en plein contrôle de ses moyens, qui semble avancer avec assurance dans un climat qui ne pourrait pas être moins stable pour les restaurateurs québécois. N’empêche que derrière cette confiance, se trouve une lucidité percutante. Camilo, conscient du privilège relevant de sa victoire du concours culinaire le plus connu des Québécois, ne peut s’empêcher de partager la souffrance de ses collègues cuisiniers, chefs et restaurateurs qui luttent présentement pour leur survie. L’empathie est un concept qui revient souvent au cours de notre conversation. S’il est aujourd’hui impossible de découvrir la cuisine de Camilo dans un restaurant de la métropole, c’est en partie par respect pour ses collègues restaurateurs. Ouvrir un restaurant en pleine pandémie et créer de la concurrence à ceux qui n’en ont clairement pas besoin, c’est faire preuve d’un manque flagrant d’empathie. Ainsi, avec ses associés de Menu Extra, il a mis sur pied une série d’évènements culinaires de style « Pop-Up » depuis la fin du printemps dans différents restaurants montréalais avec comme objectif de leur donner un petit coup de main pour tenir le coup pendant la pandémie.

Car l’introspection est absolument nécessairement pour le jeune « cuisinier ». Je mets l’accent sur les guillemets, car c’est justement un terme qui le définit de moins en moins.

Parallèlement à cette pandémie, Menu Extra s’est aussi présenté comme un allier aux différentes crises sociales qui ont traversé le Québec depuis le mois de mars. Avec leurs Pop-Up, l’entreprise a amassé plus de 20 000,00 $ pour différents organismes communautaires de la région. En guise de support au mouvement Black Lives Matter au Québec, Menu Extra a notamment versé des fonds au Desta Black Youth Network, qui vient en aide aux jeunes de la communauté afro-québécoise dans leurs objectifs professionnels, académiques ou entrepreneuriaux (visitez leur page Instagram pour en savoir plus sur leurs implications). Conscient qu’il « n’en fera jamais assez », Camilo jure qu’il reste à l’affût de ce qui se passe autour de lui, particulièrement dans le monde de la restauration, et qu’il fera son possible pour aider et s’améliorer.


Dans un milieu où les grandes tables de la métropole n’offrent à leur clientèle rien de moins que la perfection, ce n’est pas une surprise que cette même perfection doive se retrouver dans la cuisine. Il y a une intensité inhérente au métier de cuisinier. Camilo ne le cache pas, sa formation en cuisine ne s’est pas forcément déroulée dans le calme et l’harmonie. C’est un milieu extrêmement exigeant, où les heures sont longues. Il ne regrette pas son parcours. Sans avoir vécu ce qu’il a vécu, il me confie qu’il ne serait jamais le cuisinier qu’il est aujourd’hui. Au Mousso, il a évolué dans une équipe, où tous étaient motivés à être les meilleurs ensemble et à dépasser leurs limites. La rigueur est essentielle. Il n’a qu’à penser au miso qu’ils font fermenter au restaurant, pendant près de neuf mois. Il faut un certain zèle, mais surtout de la passion pour planifier un menu neuf mois en avance.


D’ailleurs, dès ses débuts en restauration, Camilo en est venu à la réalisation que s’il désirait exercer longtemps ce métier qui le passionne autant, il devait prendre soin de lui et trouver un équilibre entre sa carrière et sa vie personnelle. Pour lui, la cuisine est « un exercice de performance ». Pour performer, il est question d’être en santé au travail. L’entrainement physique et « un horaire de sommeil » sont essentiels pour conserver cette forme mentale et physique.


C’est au moment où un cuisinier ne suit plus son chef et le reste de la brigade dans leur intensité qu’il y a un problème. « C’est à ce moment que le cuisinier doit s’asseoir avec son supérieur et discuter de la situation. Celui-ci doit être à l’écoute et c’est de cette manière, je pense, qu’on peut éviter l’abus », m’explique-t-il. Dans sa conception des choses, un restaurant qui ne prend pas soin de son personnel court simplement à sa perte. Un restaurateur qui désire couper les coins ronds en négligeant ses employés démontre non seulement un manque de respect incroyable, mais aussi une incapacité à monter un plan d’affaire efficace. Dans un climat (pré COVID-19 du moins) de pénurie de main-d’œuvre en restauration, un tel comportement demeure inexplicable. Camilo l’avoue, et la logique tient d’ailleurs la route : il est resté le plus longtemps dans des emplois où il sentait que son apport dans la cuisine était valorisé et où il sentait qu’il progressait dans sa carrière.


Certains auraient pu croire que la pandémie aurait ralenti les projets du gagnant de l’édition 2020 de la compétition Les Chefs (moi le premier !). À mon étonnement, ça n’a pas été le cas. Il affirme : « Pour moi, cet été a été l’un des plus enrichissants au plan de ma carrière ». Les connexions et les rencontres, créées par la création de son entreprise, Menu Extra, furent nombreuses et motivantes. Parlons-en un peu de cette compagnie. Ils sont quatre, dont trois provenant du Mousso : Francis Blais, Alexis Demers et Camilo. Pour compléter l’équipe se joint à eux Martin C. Pariseau, réalisateur et vidéaste. L’entreprise se divise en trois phases distinctes. La première phase est la commercialisation en épicerie de produits fermentés, comme le soya et le miso. La production est déjà en marche. En attendant que se produise le processus de fermentation, les quatre associés peuvent ainsi consacrer leurs énergies sur la phase deux et la phase trois. La deuxième phase étant la création de Pop-Up culinaires dans différents restaurants de Montréal : quelques évènements sont toujours planifiés dans les semaines à venir. La troisième phase est la création d’évènements gastronomiques « haute couture », où ils peuvent donner réellement libre cours à leur imagination. Et ce n’est pas l’inspiration qui manque, lui qui est capable de conceptualiser un menu 10 services en moins de deux heures. Leur premier évènement fut un franc succès, dans un décor digne d’Alice au pays des Merveilles, au vignoble Fragments, en Outaouais. Un évènement qui restera « gravé à jamais dans [sa] mémoire », souligne Camilo. Lorsque je lui demande maladroitement s’il considère que la pandémie l’a avantagé dans ses projets, il répond qu’il ne préfère pas voir les choses d’une telle manière. Tellement de gens ont souffert ou souffrent encore qu’il n’est pas sensé de raisonner ainsi. Il s’en tient à dire que la situation est arrivée et qu’ils ont fait de leur possible pour composer avec celle-ci, tant mieux si ça s’est bien passé.


Doit-on s’attendre à l’ouverture d’un nouveau restaurant bientôt ? Mon interlocuteur ne rentre pas trop dans les détails. Oui, un restaurant ferait partie de ses plans. 15-20 places, une cuisine propre à lui… Où il peut aisément diriger la soirée… Ça reste mystérieux, mais nous serons patients, ouuuuuuuui chef !

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