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Enfin, un livre sur l'international maoïste

Auteur·e·s

Chrystophe Simard

Publié le :

23 mars 2022

« Quand la Chine s'éveillera, le monde tremblera. » Si cette citation souvent attribuée à Napoléon surprend aujourd’hui par sa grande clairvoyance, c’est en raison de plusieurs décennies de déclin de la Chine, accentuées par le règne tyrannique de Mao. L’influence du maoïsme à l’extérieur de la Chine demeure un sujet peu exploité par les historien·ne·s, mais heureusement, Julia Lovell, dans Maoism : A Global History, jette la lumière sur cet enjeu.

« Si le Parti communiste chinois est toujours au pouvoir en 2024, la révolution communiste chinoise aura dépassé la durée de vie de 74 ans de sa grande sœur soviétique », souligne Lovell.

« Si le Parti communiste chinois est toujours au pouvoir en 2024, la révolution communiste chinoise aura dépassé la durée de vie de 74 ans de sa grande sœur soviétique », souligne Lovell. « Les historiens pourraient en venir à voir octobre 1949, plutôt qu'octobre 1917, comme la grande révolution du siècle dernier. »


Mao Zedong a été découvert pour la première fois en Occident avec le livre d'Edgar Snow de 1937, Red Star Over China. Le Parti communiste tentait alors de nouer des liens avec des « very important potential propagandists », et Snow, un journaliste américain, brossait un portrait très favorable de Mao, qu'il qualifiait de « rebelle qui peut aussi bien écrire des vers que mener une croisade ». Lovell écrit que Snow « semble avoir été au moins un peu amoureux de Mao ». Le livre s'est avéré être un portrait précis, mais quelque peu admiratif de Mao, de son idéologie et de ses difficultés. Grâce au succès de son livre, Snow a même été appelé à conseiller le président américain Franklin Roosevelt sur les questions chinoises.


Peu de temps après la victoire de Mao concernant la guerre civile chinoise en 1949, des informations parlant de « lavage de cerveau » dans ses camps ont émergé et intrigué les Occidentaux. La C.I.A. a décidé de financer le projet de recherche MK-Ultra, qui a eu lieu à l’Université McGill. Selon Lovell, Ewen Cameron de McGill « réduisait ses patients à rien, puis les reconstruisait ». « Au cours des deux dernières années », écrivait joyeusement Cameron en 1955, « plus d'une centaine de personnes ont ainsi subi avec succès un lavage de cerveau à la canadienne »; « Lavage de cerveau réussi » étant un euphémisme pour « réduit à un état végétatif ».


Le premier mouvement communiste étranger à être soutenu par Mao fut celui d'Indonésie. Cela s'est avéré désastreux pour celui que la propagande chinoise appelait « le soleil rouge dans nos cœurs ». Entre 1965 et 1966, des centaines de milliers de membres présumé·e·s du Parti communiste d'Indonésie ont été assassiné·e·s, ce qui a conduit à la désintégration de la guérilla communiste du pays. Après cela, Mao a jeté son dévolu sur l'Afrique, où il a financé de nombreux projets d'infrastructure dans des pays communistes ou amis des communistes. « Les tunnels ont fui, les trains ont déraillé, les accidents ont proliféré », conclut Lovell à propos des aventures financièrement désastreuses de Mao.


Mao est également devenu un camarade de Robert Mugabe, qui dans la première partie de sa vie était un véritable démocrate qui a renversé la minorité blanche au Zimbabwe. Mao a fourni à Mugabe des installations d'entraînement, des armes, des stratégies et surtout des enseignements communistes. Comme nous le savons aujourd'hui, Mugabe s'est avéré être l'un des pires dictateurs du XXe siècle et a été renversé en 2017 par Emmerson Mnangagwa, formé en Chine dans les années 1960 et qualifié de « vieil ami de la Chine » par Xi Jinping.


Dans les années 1960, Mao est devenu une icône culturelle en Occident, notamment en France et aux États-Unis. Brigitte Bardot portait des costumes Mao et Jean-Paul Sartre était un sympathisant notoire de Mao. De nombreux·ses étudiant·e·s de la prestigieuse École Normale Supérieure sont devenu·e·s des partisan·ne·s de Mao et des slogans maoïstes ont été utilisés lors des manifestations de Mai 68.


Dans le contexte de la guerre du Vietnam, Lovell écrit que « le maoïsme a fourni un cadre pour critiquer l'Amérique » et la guerre elle-même. Malheureusement, l'influence de Mao et de la Chine sur le Nord-Vietnam pendant la guerre du Vietnam n'est pas suffisamment couverte dans ce livre. Le fait que la Chine aidât clairement les Nord-Vietnamiens a presque rendu la nation communiste en guerre par procuration avec les États-Unis, l'empire capitaliste.


À la mort de Mao en 1976, la Chine a cessé toute intervention à l'étranger pour se concentrer sur sa reconstruction. En matière de politique économique, Deng Xiaoping – le successeur de Mao et l'homme en grande partie responsable de la croissance récente de la Chine – « s'est manifestement écarté de Mao », écrit Lovell. « Mais… le cadre politique et institutionnel de Deng est resté profondément maoïste. » Le culte de Mao est cependant resté en Chine, surtout lorsqu'il s'agit de portraits admiratifs et de souvenirs kitsch. On dit qu’un couple aurait reçu 102 exemplaires des œuvres de Mao comme cadeaux de mariage.


Lovell écrit qu'aujourd'hui « la Chine est gouvernée par le dirigeant le plus fort et le plus maoïste que le pays ait eu depuis Mao. Xi Jinping […] a normalisé des aspects de la culture politique maoïste : les séances de critique/autocritique [et] le culte de la personnalité ». Le culte de la personnalité de Xi, comparé à Mao, est selon elle « pâle et peu convaincant ». Elle écrit que la gestion directe par Xi de la vaste campagne anticorruption « est un retour évident au monopole du parti sur le pouvoir politique et juridique sous Mao ».


Bien que très important, ce livre n'est pas indispensable. La portée mondiale du maoïsme est en effet un sujet intéressant, mais il n'a pas non plus changé le monde. « Il est peu probable que la mystique de Mao », a écrit Andrew Nathan dans le magazine Foreign Affairs, « ait donné à la Chine autant d'influence sur les événements mondiaux que Lovell le prétend ». Les aventures étrangères sous Mao ont été pour la plupart infructueuses. Le Népal est en fait le seul endroit où les maoïstes ont pris le pouvoir. Même si le renversement du capitalisme est le but ultime de tout système communiste, la Chine n'a jamais été particulièrement proche d'atteindre cet objectif. L'héritage culturel de Mao sur le monde occidental est probablement la plus forte empreinte du maoïsme en dehors de la Chine.


Comme Lovell l'écrit elle-même, la représentation de Mao comme un leader « planétaire » par les propagandistes chinois « était souvent plus une question d'amour-propre domestique que de realpolitik internationale ». Elle ajoute que sa « politique étrangère volatile » — notamment sa « rivalité souvent étrangement féroce avec l'Union soviétique » et son soutien disparate aux insurrections communistes à l'étranger — n'ont fait que rendre le mouvement communiste plus impuissant.


Néanmoins, ce livre met à mal l'orthodoxie occidentale selon laquelle, sous Mao, la Chine n'avait aucun engagement avec le monde extérieur. Cela montre donc ce que la Chine, sous un dirigeant fort et ambitieux comme Xi Jinping, pourrait essayer de faire.

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