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Elle sera mondiale

Auteur·e·s

Adam Wrzesien

Publié le :

17 mars 2022

Il n’est jamais très bon, lorsqu’on tape « war in Europe » dans un moteur de recherche, que les premiers résultats soient de fraîches citations de dirigeants actuels. Eh bien, permettez-moi un laconique rapport de situation : c’est le bordel, les chums.

Il est de ces moments où l’on a le sentiment que l’Histoire se déroule devant nous, sans toutefois pouvoir y faire grand-chose.

Le mot « diplomatie » est sur toutes les lèvres, et au moment où j’écrivais ces lignes, les présidents Biden et Poutine venaient d’accepter en principe la proposition française d’un sommet (au moment où je les révisais, le président russe avait finalement écarté l’idée — oupelaye). Les dirigeants européens sont mobilisés; Américains et Russes s’échangent des mémoires écrits; jamais n’ai-je autant entendu l’expression « ballet diplomatique ». Que se passera-t-il, donc, en Ukraine? La réponse à cette question changeait à mesure que j’écrivais, et maintenant que vous me lisez, la situation a assurément évolué de manière significative. Une chose est sûre : les tambours de la guerre, que certains croyaient à jamais rangés ou confinés aux parades, nous font savoir qu’ils n’ont pas dit leur dernier mot, et le grognement des chenilles de chars résonne dans une mesure jamais encore entendue par les gens de mon âge, autrement que dans un jeu vidéo. Alors que la Russie effectue le plus grand déploiement de troupes en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale, que la marine russe s’active sur les mers du monde, et que l’entraînement militaire devient l’activité de fin de semaine par excellence pour plusieurs civils ukrainiens, celui qui croit absolument à la victoire de la diplomatie est-il optimiste, naïf, ou fait-il simplement preuve d’un sang-froid remarquable?


Possiblement un peu des trois : la diplomatie, après tout, n’est pas une forme de magie par laquelle on évite les conflits en se faisant les beaux yeux. Charles de Gaulle, à un moment donné avant de devenir un pont sur la 40, a dit que les États n’avaient pas d’amis; seulement des intérêts. Peut-être un peu fort en café, à l’image du Général; il n’en est pas moins certain que pour négocier, il faut avoir des choses à se dire. Or, en suivant l’actualité de la crise, on obtient rapidement la sinistre impression que tout a été dit dès ses premiers jours, et que le fameux « ballet diplomatique » n’est rien, en effet, qu’une futile danse, tant le gouffre entre les positions russes et occidentales est immense.


Rappel des exigences russes : d’abord la promesse que l’Ukraine ne sera jamais acceptée comme membre par l’OTAN, puis, que cette même alliance cesse les déploiements militaires dans les pays qui l’ont rejointe après 1997 : essentiellement tout ce qui est à l’est de l’Allemagne. Alors que la première demande n’aurait d’utilité réelle pour les Russes que celle d’humilier l’Occident, tant il n’a jamais été sérieusement question d’intégrer l’Ukraine à l’OTAN, la seconde est tout bonnement saugrenue : son application serait la trahison et l’abandon d’une foule de pays démocratiques et membres de l’Union européenne aux soins des griffes de l’Ours. Il saute aux yeux que ces demandes ne sont pas faites pour être acceptées.


Et si au moins elles étaient présentées comme négociables! Bien au contraire, le Kremlin et sa machine de propagande en ont fait des exigences élémentaires, sine qua non pour toute entente, des conditions sans lesquelles la sécurité de la Russie ne peut être assurée. Des « lignes rouges », pour reprendre l’expression chérie du président Poutine. Une application assez audacieuse du concept, il faut d’ailleurs l’avouer, car on avait l’habitude de tracer des lignes rouges sur des choses qui n’étaient pas déjà arrivées et qu’on souhaitait interdire; Poutine, lui, se fait aller le Sharpie™ en plein sur ce qui existe déjà et qui définit l’Europe telle qu’on la connaît aujourd’hui.


Il est vrai qu’on demande toujours plus que ce qu’on veut vraiment. Qu’il pourrait s’agir d’une manière efficace d’obtenir des gains plus modestes face à un Occident ébloui. Tout à fait.


Mais Poutine n’a pas seulement dit à l’OTAN que sa présence à l’est de l’Allemagne et la possibilité théorique que l’Ukraine la rejoigne sont des dangers mortels pour la Russie.


Il l’a dit aux Russes.


La propagande d’État ne cesse de marteler ce message. Advenant une entente, peu importe les gains russes à d’autres niveaux, comment Poutine expliquerait-il à son peuple, qui accepte sa dictature notamment en raison de son image de protecteur intrépide et implacable de la Russie, qu’il a abandonné ces points, présentés comme des couteaux pointés au cœur de la Mère-Patrie?


On compare souvent Vladimir Poutine à un joueur de poker : là, le gars est all in. Reculer n’est plus une option.


Les demandes de Moscou, d’ailleurs, sont aussi un signal très clair que la Russie n’en a pas que contre l’Ukraine, qui semble ici simplement servir d’otage. Il s’agit d’une confrontation avec l’OTAN. La prétention occidentale d’exclure la guerre ouverte avec l’Ours seulement en n’envoyant pas de troupe en Ukraine est dérisoire.


Nous savons tous que la force militaire russe n’est que l’ombre de celle de l’Armée rouge qui menaçait jadis nos parents au nom « de la paix et du socialisme ». Mais la Chine est derrière la Russie, et a tout intérêt à conserver cet allié riche en ressources naturelles et de plus en plus dépendant de Pékin. Qui plus est, on connaît la propension de Xi Jinping à chercher la confrontation avec l’Occident et à montrer sa force, en rupture marquée avec la patiente ascension privilégiée par ses prédécesseurs.


Dernièrement, Vladimir Poutine observait les exercices des forces des fusées stratégiques de la fédération de Russie, la branche de l’armée responsable des missiles nucléaires. Leur devise : « Posle nas, tichina. »


« Après nous, le silence. »


Ça a le mérite d’être clair. Et ce n’est pas l’Ukraine qu’on menace avec cela. C’est nous.


Je ne dis pas qu’on est aux portes d’un conflit nucléaire, non. Même si la doctrine militaire russe admet l’utilisation d’armes nucléaires si le territoire national se retrouvait réellement menacé, son application est loin d’être évidente. Pensons simplement à la Seconde Guerre mondiale, où tous les grands belligérants possédaient des armes de destruction massive, notamment sous la forme de gaz de combat. Gaz qui n’ont pourtant pas été utilisés de manière significative sur les champs de bataille et villes d’Europe. L’Histoire n’est ni mode d’emploi ni prophétie, mais permettez ici un timide raisonnement a fortiori.


Non : si la guerre éclate en Europe, elle sera tôt ou tard mondiale, et sera combattue conventionnellement. Tant de choses peuvent arriver, changer, et rien n’est certain; mais que d’être un jeune homme relativement en forme devient soudainement moins rassurant. J’écris ces lignes à Jean-Brillant; le lieutenant Jean Brillant était à peine plus vieux que nous.


Il est de ces moments où l’on a le sentiment que l’Histoire se déroule devant nous, sans toutefois pouvoir y faire grand-chose. Intéressant mélange d’inquiétude, de curiosité, d’angoisse, de fébrilité… et de tant d’autres choses encore. Les deux dernières années nous ont énormément familiarisés avec le concept : la pandémie, la fin (au moins temporaire) de l’ère Trump, l’assaut sur le Capitole, l’occupation d’Ottawa… La liste est longue, mais les événements qui s’y retrouvent risquent bien, pour la postérité, de pâlir devant la confrontation entre l’Occident et les régimes autoritaires orientaux.

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