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Discussion sur le couple

Auteur·e·s

Adelina Bocanegra et Jeanne Strouvens

Publié le :

22 février 2023

Adelina: Crois-tu au couple?


Jeanne: Qu’est-ce que t’entends par couple?


Adelina: Je suppose que je conçois le couple comme l’ensemble de deux personnes, animées par un sentiment amoureux, avec un projet de vie commun, des intérêts communs, un cercle social partagé… Bonne question qu’tu me poses là ! En fait, je ne sais pas trop. Le couple, c’est deux personnes qui ont envie d’être ensemble. Est-ce que ça doit être plus compliqué que ça?

Est-ce que le couple à long terme, unitaire, formé de deux personnes qui constituent une équipe, nous voue à une existence où nous ne réussirons jamais à atteindre notre plein potentiel ?

Jeanne: D’une approche étymologique, le couple, c’est deux personnes, oui, mais on ne parle plus de cette réalité aujourd’hui. Une relation amoureuse peut se vivre à plus que deux personnes. Peut-on être 100 dans le couple? Et est-ce que tous les membres du couple partagent réciproquement un sentiment amoureux les uns pour les autres? Je ne sais même pas si à deux, le sentiment amoureux doit exister pour que le couple existe.


Adelina: Je pense que la notion de couple réfère à la relation intime qu’entretiennent deux personnes entre elles, peu importe si cette relation est exclusive, ou si les membres du couple sont polyamoureux. Le couple en tant que concept a aussi une racine historique, dans la mesure où il n’était consolidé que par les liens du mariage pendant de nombreuses années. Le couple libertin, tel que conçu aujourd’hui, n’existe que depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, où le concept de couple en tant qu’unité sociale est venu remplacer celui de « ménage ». Ne peut-on pas déduire de cela que l’idée de couple est une construction sociale qui évolue au fil des époques?


Jeanne: Ça doit être impossible en effet de donner une définition du couple qui puisse transcender les différentes époques. Mais donc je déduis que l’arrivée du couple moderne passe par une émancipation de la femme, et une montée de la libération sexuelle. Est-ce qu’on ne devrait pas alors tendre plus encore à une libération du couple? Une définition toujours plus libre, jusqu’à en devenir inexistante?


Adelina: Il est clair qu’une tendance s’est imposée depuis les dernières années. L’auteur et philosophe Vincent Citot explique cela par le fait que, depuis une quarantaine d’années, l’aspiration à la liberté individuelle a fini par entrer en contradiction avec l’idéal de l’amour fusionnel. Le couple fusionnel est celui qui fait de son propre maintien une finalité supérieure, qui fonctionne, ou voudrait fonctionner, comme une entité unitaire. Il importe de préciser que le philosophe ne conçoit pas l’amour fusionnel comme un amour très intense, mais plutôt comme un amour-sacrifice : chacun⋅e sacrifie sa liberté et sa singularité à cette nouvelle entité, le couple. L’amour et le support qui le sous-tend sont inconditionnels, car la survie de l’individualité de la personne est subordonnée à celle du couple. Par exemple, dans la conception traditionnelle du couple, la femme passera directement des mains de son père à ceux de son mari, c’est-à-dire d’une tutelle à l’autre, puis dévouera sa vie à l’épanouissement de l’unité familiale. Le philosophe considère toutefois que le couple fusionnel est voué à l’échec, car il se prédispose à ne pas avoir d’intelligence en soi. Il se veut égalitaire, autosuffisant et passionnel, mais en réalité, les études historiques et sociologiques démontrent qu’il n’est rien de cela. Il reste déterminé par ses externalités, et la passion ne dure que le temps de ses débuts pour laisser place à une cohabitation passive.


J’ai l’impression que le couple moderne fissionnel, couple dans lequel « la vie avec l’autre n’est plus une vie pour l’autre » (1),  tel que le conçoit le sociologue Serge Chaunier, n’est qu’une manifestation du deuil de ce modèle imposé qui, souvent, ne laisse pas libre place à l’épanouissement de l’individu. Pourtant… Je crois fermement au mariage, au couple à long terme, mais les données sociologiques actuelles - en 2014, l’Organisation mondiale de la santé estimait à 67% la possibilité de divorce des couples mariés depuis 1990 (2) - me désespèrent. Je ne sais trop que faire de tout ça. Est-ce que le couple à long terme, unitaire, formé de deux personnes qui constituent une équipe, nous voue à une existence où nous ne réussirons jamais à atteindre notre plein potentiel?


Jeanne: Je crois que j’ai une solution à te proposer! La sociologue française Emmanuelle Santelli soulignait, comme toi, le besoin d’individualisation né des années post-Seconde Guerre mondiale, alors que tous⋅te⋅s, comme individus, étaient à la recherche de notre personnalité bien à nous. Mais, heureusement pour les personnes qui, comme toi, partagent l’envie d’être amoureux⋅ses et de croire au couple, elle propose la conjugalité comme outil dans la réalisation de soi : elle parle d’un Pygmalion. Dans la mythologie grecque, Pygmalion est un sculpteur qui tombe amoureux de sa statue et qui la modèle avec dévotion pour la mener à son elle optimale. Ton partenaire, finalement, pourrait t’aider à t’épanouir dans ton individualité. Mais j’ai l’impression que ça entraîne nécessairement un calcul utilitariste  dans le choix de son partenaire, comme s’il fallait choisir celui ou celle qui pourrait nous amener le plus loin de notre réalisation de soi.


Adelina: On pourrait donc dire que, dans la quête d’épanouissement individuel, le calcul utilitariste s’est imposé dans la conception du couple. Un couple n’est-il pas donc une transaction économique à laquelle chacun se considère gagnant? La transaction économique n’est pas nécessairement financière, elle comprendrait pour moi la complicité, le soutien émotionnel, l’affection, le partage de valeurs… Je conviens qu’il est normal que souvent, l’apport au couple soit inégal, mais fluctue au fil des périodes de la vie et des besoins de chacun⋅e pour finir par s’équilibrer - pensons notamment au support inconditionnel que ce sont apportés Ruth Bader Ginsburg et son mari, Marty Ginsburg, tout au long de leur vie, à travers maladie et adversité, en alternance. Toutefois, à partir du moment où le coût marginal associé à cette transaction devient élevé au point d’être inéquitable pour l’un⋅e des membres du couple, il s’impose à cette personne de résilier le « contrat » que constitue son union, faute de quoi la situation conjugale devient insoutenable. Du coup, le couple peut-il être modélisé par une analyse économique? Mais encore, que faire de la passion, aveuglante, qui a le pouvoir de faire acteurs du couple des acteurs irrationnels. Surtout lorsqu’il en vient aux relations toxiques…


Jeanne: Wow! C’est une approche très théorique du couple, ma foi, et je pense que ça me ferait beaucoup de peine d’envisager mes relations comme des contrats. Ce serait triste  d’annihiler la passion et l’amour pour des coûts et opportunités. J’aime l’idée de l’inconditionnalité. Et tous les couples ne répondent pas à une transaction avantageuse! Et il reste des couples, non? Et qu’est-ce qui fait de la transaction du couple une transaction bien à elle? À ce compte, l’amitié est aussi une transaction.


Adelina: À ce compte, toutes nos relations sont des transactions. Le couple en est un type parmi d’autres. Quant à l’inconditionnalité, qui était si valorisée dans le couple traditionnel - la femme sacrifiait sa vie pour son mari et ses enfants, l’homme quant à lui, assumait inconditionnellement le rôle de pourvoir aux besoins de sa famille - a perdu son qualificatif de vertu dans une société de plus en plus individualiste, où chacun⋅e tente de faire avancer ses propres intérêts. Toutefois, je pense qu’on ne peut pas échapper à l’inconditionnalité lorsque rentrent en jeu l’amour et la passion, car elle pousse quelqu’un à rester bien au-delà du moment auquel la transaction cesse d’être avantageuse. C’est elle qui brouille les frontières de ce que constitue une transaction rentable. Sans passion, tout est plus clair, ce pour quoi les vieux couples prennent souvent la forme d’une association. Un couple peut-il alors exister sans amour passionnel tel qu’on le conçoit?


Jeanne: Je pense que oui! Que ce soit un couple qui a grandi ensemble, et qui ne dépend plus de leur amour pour exister, ou d’un couple qui se fabrique sur des constructions pratiques - avancement social, avantage financier, ou simplement la volonté de faire face à la vie à deux - qui restent des raisons valables de former le couple. Tant qu’il est librement conçu, et qu’il résulte d’une entente commune, j’imagine que toutes les raisons sont bonnes de se trouver un⋅e partenaire. L’amour peut prendre des formes différentes, et il peut s’exprimer par un respect dépourvu d’attraction sexuelle, comme par une passion inexplicable. Peut-être que c’est ça le couple ou du moins son unité de base: l’amour, peu importe sa forme et sa teneur. J’ai l’impression de ne pas être tout à fait convaincue…


Adelina: Moi non plus, mais c’est une piste de réflexion…

Sources citées : 


1. Serge Chaumier, L’amour fissionnel. Le nouvel art d’aimer, Fayard, 2004, p. 16

2. https://www.journaldemontreal.com/2014/02/08/le-couple-et-le-divorce , selon une étude de l’OMS

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