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Députées éphémères : pourquoi les femmes fuient-elles la politique québécoise?

Auteur·e·s

Maria Boutin et Amy Young, membres du Comité juridique contre les violences à caractère sexuel

Publié le :

2 octobre 2022

Le vent de fraîcheur qui annonce l’arrivée de l’automne n’est malheureusement pas synonyme d’un vent nouveau à l’Assemblée nationale. Voilà maintenant 61 ans que la première femme a été élue comme députée au sein de l’Assemblée nationale, mais le milieu de la politique au Québec peine toujours à sortir de sa mentalité de boys club, nous témoignent plusieurs ex-députées (1). C’est pour cette raison qu’un nombre disproportionné de députées se sont désistées de cette nouvelle campagne électorale.

Parmi les différents partis, c’est la CAQ qui remporte la palme de la plus grande proportion de départs féminins en son sein. Sur 12 député⋅e⋅s qui ont pris la décision de ne pas se représenter aux élections, 9 sont des femmes, soit un virulent 75 %. Mais qu’est-ce qui explique ce phénomène chez nos élues, et comment y mettre un frein pour les années à venir?

Cette année, ce sont plusieurs femmes qui ont décidé de quitter la politique, et ce souvent après un seul mandat. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 34 député⋅e⋅s sur 125 ne se représenteront pas aux élections cette année. De ce nombre, on compte 22 femmes, ce qui représente 67,4 % des départs. La statistique est d’autant plus alarmante lorsqu’on sait que l’assemblée elle-même comporte un moins grand nombre de femmes que d’hommes. En effet, le pourcentage de femmes élues ne s’élève qu’à 44 % (2).


Parmi les différents partis, c’est la CAQ qui remporte la palme de la plus grande proportion de départs féminins en son sein. Sur 12 député⋅e⋅s qui ont pris la décision de ne pas se représenter aux élections, 9 sont des femmes, soit un virulent 75 %. Mais qu’est-ce qui explique ce phénomène chez nos élues, et comment y mettre un frein pour les années à venir? Alors que les différent⋅e⋅s chef⋅fe⋅s nous répètent sans cesse que l’équité homme-femme est une valeur au cœur même de la société québécoise, qui nous définit en tant que nation, peu d’efforts semblent portés pour s’assurer que le climat politique et la fonction de député⋅e elle-même puissent accueillir les femmes à long terme (3).


Une assemblée restée dans le passé

Il semble plus que pertinent de mentionner la misogynie parasitaire qui imprègne l’Assemblée nationale. Des commentaires, des gestes et des réactions qui semblent provenir tout droit des années 1950 font encore bel et bien partie du portrait politique actuel. Parmi les exemples, on retrouve un ministre qui répond à une députée en l’interpellant par un « jeune dame » condescendant, ou bien des ministres qui exigent que leur attachée politique  porte des talons hauts. On parle également de gestes déplacés tel un député qui tente de mesurer le derrière d’une collègue dans un des corridors de l’Assemblée nationale. Une députée sortante caquiste s’est même fait dire de retourner à ses chaudrons! Ces quelques cas répertoriés ne sont que la pointe de l’iceberg (4).


La femme politicienne: inévitablement victime?

Les scandales entourant les violences à caractère sexuel dans le monde de la politique provinciale ne se sont pas faits rares dans les dix dernières années. De l’envoi de photos pornographiques non sollicitées par le député provincial Yves Saint-Denis en 2017 aux nombreuses allégations d’agressions sexuelles portant sur des élus et ministres entre 2011 et 2018, comme celles portées contre le député de Rimouski Harold Lebel lui ayant valu sa récente expulsion du Parti Québécois (5), il va de soi que la culture qui règne à l’Assemblée nationale mérite d’être corrigée. Le nombre important de cas répertoriés dans un passé qui n’est pas si lointain témoigne d’un grave problème entre les murs de l’institution. Lors de leur dernier mandat, tou⋅te⋅s les député⋅e⋅s ont dû suivre une formation de deux heures portant sur le harcèlement et les violences à caractère sexuel (6). Une politique interne a également été adoptée en 2015, mais est-ce suffisant?


Il est certain que le fait même d’être une figure politique accroît les risques d’être victime de violence et de harcèlement, mais les femmes représentent toujours la majorité démesurée des victimes de ces crimes. Celles-ci sont la proie de bon nombre de messages haineux, souvent à caractère sexuel, de la part du public. Selon Christine Labrie, députée solidaire, les femmes subissent près de 27 fois plus de violence en ligne (7). Rappelons aussi l’attentat au Métropolis en 2012 visant l’ancienne première ministre Pauline Marois. Attaquée pour ses convictions politiques, on ne peut passer à côté de la question : et si ça avait été un homme? Ce phénomène est un vecteur de découragement pour les femmes qui souhaitent, d’une part, s’impliquer dans l’espace public politique et, de l’autre, perdurer dans ce monde (8).


Nous ne pouvons ignorer le point de la conciliation travail-famille qui rend la vie politique d’autant plus problématique pour les femmes. Alors que les horaires de député⋅e⋅s sont contraignants et lourds, et considérant qu’encore aujourd’hui, au Québec, la répartition des tâches ménagères et éducatives au sein des familles est inéquitable, il devient difficile d’être députée tout en étant femme, et plus particulièrement en étant mère (9).


Un vote pour la femme

Bien que les femmes puissent aujourd’hui démocratiquement accéder au pouvoir, rien ne leur permet structurellement d’y demeurer. Or, les microagressions, la cyberintimidation et les désavantages qui viennent avec le simple fait d’être femme ne devraient plus avoir leur place à l’Assemblée nationale.


Nous avons le droit et le devoir de nous présenter aux urnes cet automne. Comme électeur⋅trice⋅s ayant le pouvoir de créer un réel changement, nous ne pouvons pas nous permettre de nous désintéresser de la politique. La condition de la femme politicienne n’est qu’une illustration d’une société encore beaucoup trop misogyne. Il est grand temps de déconstruire les systèmes archaïques qui continuent à tolérer et à produire un environnement de travail toxique pour les femmes. En octobre, nous votons pour les acteur⋅trice⋅s du changement et pour que nos convictions et nos valeurs soient représentées dans la législation. Et comment vouloir améliorer la condition féminine lorsqu’il ne reste plus de femmes à l’Assemblée nationale et qu’il n’y demeure que les hommes qui les ont chassées de leur poste?

Sources citées : 


1. La Presse Canadienne. « Christine Labrie dénonce l’intimidation envers les femmes à l’Assemblée nationale », Radio-Canada, 28 novembre 2019, en ligne

<https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1408714/christine-labrie-intimidation-femme-assemblee-nationale-deputee-sherbrooke-quebec-solidaire>


2. Jocelyne Richer. « Exode des femmes à l’Assemblée nationale  », Le Soleil, 23 août 2022, en ligne <https://www.lesoleil.com/2022/08/23/exode-des-femmes-a-lassemblee-nationale-ae0272bf70c0d6dd9e25ddb3385ebc61>


3. Richer, Id.


4. Paul Journet, « Sexisme en politique: tout cela était censé changé », La Presse, 16 décembre 2020, en ligne <https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2020-12-16/sexisme-en-politique/tout-cela-etait-cense-changer.php#>

et Véronique Prince. « Retourne à tes chaudrons! : il y a encore du chemin à faire en politique », Radio-Canada, 1er juillet 2022, en ligne <https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1895015/quebec-assemblee-nationale-claire-isabelle-emilie-foster>


5. Rémi Nadeau. « Rimouski semble avoir un penchant pour QS», Journal de Québec, 20 septembre 2022, en ligne <https://www.journaldequebec.com/2022/09/20/rimouski-semble-avoir-un-penchant-pour-qs>


6. Journet, Id.


7. La Presse Canadienne. « Christine Labrie dénonce l’intimidation envers les femmes à l’Assemblée nationale », Radio-Canada, 28 novembre 2019, en ligne

<https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1408714/christine-labrie-intimidation-femme-assemblee-nationale-deputee-sherbrooke-quebec-solidaire>


8. La Presse Canadienne, Id.


9. La Presse Canadienne, Id.

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