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Coupe du monde 2022 : l’envers de la médaille

Auteur·e·s

Mathieu Lamarre

Publié le :

5 décembre 2022

Il y a quelques jours seulement débutait l'événement sportif le plus attendu de l’année. Depuis le 20 novembre dernier, des nations vibrent au son de la fanfare. Sous les cris des fanatiques déchaînés·es s’opposent des athlètes prêts à tout donner. Avec les stades grandioses, la musique envoûtante et les joutes enflammées, l'événement a de quoi toucher des cordes sensibles partout à travers le monde, y compris ici au Canada. Tous les yeux sont donc tournés vers le Qatar, pays hôte. Et pourtant, cette fois, quelque chose vient ternir l’image de la Coupe du monde, quelque chose de troublant, un vice qui pousse plusieurs spectateur·rice·s à boycotter le tournoi qui, à leurs yeux, ternit l’image du beautiful game.

Ces morts, c’est un pied-de-nez que fait le Qatar aux droits humains; ce sont des milliers de travailleur·euse·s qui ne pourront pas rentrer chez eux·elles. Alors que nous vivons une compétition mémorable, les familles de ces travailleur·euse·s vivent un deuil difficile: étrange antithèse dans ce sport qu’on appelle The beautiful game.

Pour comprendre l’ampleur et l’aspect insidieux du problème, il faut comprendre le contexte dans lequel la Coupe du monde 2022 a été mise en place. Pour déterminer qui sera le pays hôte des futurs événements, le Comité exécutif de la Fédération internationale de football association (FIFA) procède à un vote suivant un processus opaque. Et il semble que ces membres votants de la FIFA ne soient pas seulement intéressé·e·s par le rayonnement planétaire de leur sport. Or, le Qatar a été choisi en 2010 comme pays hôte. À peine quelques secondes après le vote, des doutes étaient soulevés: le Qatar est soupçonné d’avoir donné des pots-de-vin en échange de votes importants lui ayant permis d’obtenir le mandat de recevoir la Coupe du monde 2022. Encore aujourd’hui, une enquête des autorités américaines est en cours pour tenter de démontrer la corruption lors du vote d’attribution de la FIFA (1). Rien de bien différent des autres grandes messes du sport, à commencer par les Jeux olympiques, mais bon… C’est donc dans une ambiance de soupçon et de malhonnêteté que la décision est prise: la Coupe du monde 2022 se déroulera au Qatar!


L’ennui, c’est que le Qatar n’est pas du tout prêt à recevoir un événement d’une telle ampleur. Pour être hôte d’une Coupe du monde, il faut des lieux d’hébergement, des organes de transport impeccables, des places mises à la disposition des fans et, surtout, des stades. Or, le Qatar en possède très peu et ces derniers ne sont pas assez grands pour accueillir les milliers de spectateur·rice·s qui animeront l’événement gigantesque. Dans les faits, avant la désignation du Qatar comme pays hôte de la Coupe du monde, seul un stade existait déjà (5). C’est une occasion pour le régime au pouvoir de montrer son savoir-faire. La décision prise par le Qatar est donc de construire sept autres stades,  qui seront une véritable prouesse de l’architecture moderne, ainsi que toutes les autres infrastructures nécessaires à l’organisation de l’événement.


Le véritable problème commence lors de la construction de ces infrastructures. En effet, le Qatar ne dispose pas de la main-d'œuvre nécessaire à la réalisation de son imposant ouvrage. Le pays fait donc appel à des travailleurs·euse·s venant de l’Inde, du Pakistan, du Sri Lanka, du Bangladesh ou encore du Népal pour leur venir en aide. On promet à ces travailleur·euse·s de meilleures conditions de travail et de meilleurs salaires que ce qu’ils/elles gagneraient dans leurs pays d’origine. On leur vend un rêve qui les pousse à migrer temporairement. Cependant, ce qui les attend au Qatar est plus près du cauchemar.


Dès leur arrivée, les autorités confisquent à plusieurs de ces migrant·e·s  leur pièce d’identité la plus importante: leur passeport. Ainsi, les travailleur·euse·s ne peuvent plus retourner dans leur pays d’origine. Sans ce recours élémentaire, ils/elles se retrouvent à la merci des autorités et n’ont pas d’autre choix que de travailler, et ce, dans des conditions exécrables. Les travailleur·euse·s  étranger·ère·s, qui composent 88% de la population du Qatar, il faut le préciser, se retrouvent dans un système de parrainage que les autorités locales nomment « Kafala ». Dans les faits, il s'agit plutôt d’un système d’exploitation visant à garder les travailleurs·euse·s sous l’emprise de leurs employeur·euse·s sans scrupules. Les migrant·e·s   qui viennent travailler au Qatar vivent dans des camps de travailleur·euse·s (11). Ces « camps » sont souvent de nauséabonds amas de tentes où ne semblent pas s'appliquer les droits humains. L’accès à l’eau potable est extrêmement limité (dans un climat désertique, rappelons-le), le travail forcé est omniprésent et le salaire des travailleur·euse·s est souvent retenu arbitrairement par les employeur·euse·s: on cherche ici à éviter que les salarié·es tentent de fuir. Le journal The Guardian qualifiait en 2011 ces conditions de vie comme étant « de l’esclavage moderne » (7).


On ne peut parler des conditions de vie des travailleur·euse·s  étranger·ère·s du Qatar sans parler de leurs conditions de travail. On rentre ici dans la problématique la plus alarmante. En effet, les migrant·e·s qui arrivent au Qatar viennent avec l’idée d'un travail sain et bien rémunéré. Le retour à la réalité est dur: les conditions de travail sont si horribles que plusieurs auraient trouvé mieux dans leur pays d’origine. Dans les faits, les salarié·e·s se voient obligé·e·s de travailler dans des conditions dangereuses où les dispositifs de sécurité sont désuets ou inexistants. Ils/elles se retrouvent aussi dans l’obligation de travailler sous des chaleurs torrides propres au climat du pays sans avoir  accès à de l'eau potable. Enfin, ils/elles se voient contraint·e·s de travailler des jours sans la moindre pause ou le moindre congé.


Ces conditions de travail éreintantes ne sont pas sans conséquence. Selon une étude menée par The Guardian, depuis que l'organisation de la Coupe du monde 2022 a été attribuée au Qatar, plus de 6500 travailleur·euse·s étranger·ère·s venu·e·s de l’Asie du Sud seraient décédé·e·s (4). Ces morts sont attribuées non seulement à des accidents de travail, mais aussi à des suicides ou encore à de simples crises cardiaques causées par la chaleur étouffante et le soleil assommant du Qatar. Ces morts, c’est un pied-de-nez que fait le Qatar aux droits humains; ce sont des milliers de travailleur·euse·s qui ne pourront pas rentrer chez eux·elles. Alors que nous vivons une compétition mémorable, les familles de ces travailleur·euse·s vivent un deuil difficile: étrange antithèse dans ce sport qu’on appelle The beautiful game.


Canada Soccer, l’organisation régissant le sport au pays, s’est récemment positionnée contre les abus et les vices perpétrés au Qatar (6). Ce faisant, l’organisation suit une tendance déjà prise par plusieurs équipes nationales européennes qui soutiennent les travailleur·euse·s. Dans le même ordre d’idée, de nombreux·euses adeptes du sport choisissent cette année de boycotter l’événement de notoriété quasi mystique. L’ancien président de la FIFA, Sepp Blatter, a d’ailleurs reconnu tout récemment que le choix du Qatar comme pays hôte de la Coupe du Monde était une erreur (10). Sentant la tension internationale monter, le Qatar aurait d'ailleurs accordé de meilleures conditions de travail aux travailleurs·euses étranger·ère·s. On peut cependant rester sceptique: est-ce suffisant? Ces initiatives sont élogieuses et louables, mais, depuis quelques années déjà, la FIFA nage dans la polémique et la corruption sans véritable porte de sortie. C’est à se demander ce qu’il adviendra du (not so) beautiful game.

Sources citées : 


(1) Rémi DUPRÉ. « Coupe du monde de football 2022 : l’ombre tenace du soupçon sur l’attribution du Mondial au Qatar », Le Monde, 19 novembre 2021, en ligne: <https://www.lemonde.fr/football/article/2021/11/19/coupe-du-monde-de-football-2022-l-ombre-tenace-du-soupcon-sur-l-attribution-du-mondial-au-qatar_6102856_1616938.html  >


(2) Pete PATTISON, Niamh MCINTYRE et al.. « Revealed: 6,500 migrant workers have died in Qatar since World Cup awarded », The Guardian, 23 février 2021, en ligne: <https://www.theguardian.com/global-development/2021/feb/23/revealed-migrant-worker-deaths-qatar-fifa-world-cup-2022   >


(3) Jeanne GUILMAIN. « Coupe du monde de soccer 2022, la nécessité d’un boycottage », Le Soleil, 28 octobre 2022, en ligne: <https://www.lesoleil.com/2022/10/28/coupe-du-monde-de-soccer-2022-la-necessite-dun-boycottage-f394764d5fcaf5a3b28ac1ad3a108808   >


(4) Pete PATTISON. « Revealed: Qatar's World Cup 'slaves' », The Guardian, 25 septembre 2013, en ligne: <https://www.theguardian.com/world/2013/sep/25/revealed-qatars-world-cup-slaves    >


(5) s.a. « Qatar 2022 : découvrez les huit stades accueillant la compétition », Midi libre, 5 octobre 2022, en ligne: <https://www.midilibre.fr/2022/10/05/qatar-2022-decouvrez-les-huit-stades-accueillant-la-competition-10714616.php  >


(6) Agence France-Presse. « Les conditions de travail encore critiquées au Qatar », La Presse, 7 avril 2022, en ligne: <https://www.lapresse.ca/sports/soccer/2022-10-28/coupe-du-monde-de-la-fifa/canada-soccer-se-prononce-sur-les-droits-de-la-personne-au-qatar.php >


(7) Pete PATTISON. « Revealed: Qatar's World Cup 'slaves' », The Guardian, 25 septembre 2013, en ligne: <https://www.lapresse.ca/sports/soccer/2022-10-28/coupe-du-monde-de-la-fifa/canada-soccer-se-prononce-sur-les-droits-de-la-personne-au-qatar.php  >


(8) FIFA, Guide de la procédure de candidature de la coupe du monde de la FIFA 2026, 2022, en ligne : < https://digitalhub.fifa.com/m/7c5f6247450e1a3e/original/y5rpajudiy1kg2prrlwz-pdf.pdf  >


(9) FIFA, First legal handbook, 2022, en ligne : < https://digitalhub.fifa.com/m/469bb4d043dc77c5/original/FIFA-LEGAL-HANDBOOK-EDITION-SEPTEMBRE-2022.pdf  >


(10) Associated Press. « Sepp Blatter déclare que l’octroi de la Coupe du monde au Qatar a été “une erreur” », Radio-Canada, 8 novembre 2022, en ligne: <https://ici.radio-canada.ca/sports/1931151/sepp-blatter-coupe-du-monde-au-qatar-erreur-michel-platini-fifa-uefa-corruption  >


(11) Abdelouahab BENJELLOUN. « Du sang sur nos maillots? », Le Devoir, 31 octobre 2022, en ligne: <https://www.ledevoir.com/opinion/idees/768828/idees-du-sang-sur-nos-maillots   >

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