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Confusion sur le consentement

Auteur·e·s

Olivia Vadacchino

Publié le :

11 mars 2021

« Sans oui, c’est non ! » Mais est-ce que ce fut toujours le cas ? Est-ce le cas pour tous ? C’est peut-être une phrase qu’on tient pour acquise aujourd’hui, puisqu’elle nous a été enseignée au secondaire et a été renforcée avec des capsules à l’université. Mais comment sommes-nous arrivé·e·s à comprendre l’étendue du consentement en matière de relations sexuelles ? Les victimes d’agression sexuelle sont plus souvent des personnes s’identifiant au genre féminin. Néanmoins, les personnes s’identifiant au genre masculin en sont aussi affectées. À la suite de la publication d’un rapport de 2019 sur la violence fondée sur le sexe au Canada, on apprend que plus de 11 millions de Canadien·ne·s âgé·e·s de 15 ans et plus ont été victimes d’agression sexuelle ou physique et que le nombre d’agressions sexuelles est plus élevé chez les femmes que chez les hommes. En effet, 30 % des femmes disent avoir été victimes de ces violences, contrairement à 8 % chez les hommes (1).  Au niveau postsecondaire, 11 % des étudiantes ont été victimes d’agression sexuelle sur leur campus; ce chiffre descend à 4 % pour les étudiants masculins (2). Notre système de justice criminelle est organisé de manière à protéger la liberté des accusé·e·s; mais est-ce trop facile d’acquitter une personne accusée d’agressions sexuelles ? Est-ce possible d’établir un système qui protège autant les droits fondamentaux des victimes que ceux des accusé·e·s ?


La décision R. c. Ewanchuk rendue en 1999 laisse la chance à la Cour suprême du Canada de clarifier la notion de consentement en matière d’agression sexuelle (3). On se posait la question à savoir s’il y avait eu consentement à un attouchement. Cette décision a permis un avancement pour les droits des femmes, car nous reconnaissons désormais l’autonomie et la capacité décisionnelle des femmes à décider comment et avec qui elles désirent entreprendre des relations sexuelles. Il y a eu une légère protection additionnelle pour les victimes parce que l’accusé doit être capable de prouver qu’il avait des raisons suffisantes de croire qu’il y avait effectivement eu consentement à l’activité en question. Malheureusement, le travail est loin d’être terminé.


La Cour rejette à l’unanimité la notion de « consentement tacite » en matière d’agression sexuelle (3). M. Ewanchuk rencontre pour la première fois la jeune femme âgée de 17 ans et son amie dans le stationnement d’un centre commercial à Edmonton. Le jour suivant, ils se rencontrent à nouveau pour une entrevue. Elle propose de passer l’entrevue dans le centre commercial; il refuse et préfère la faire dans sa voiture, question d’avoir plus d’intimité. L’entrevue se déroule de manière professionnelle et courtoise; par la suite, ils entrent dans la remorque de l’accusé, où celui-ci voulait lui montrer son travail, et ce dernier ferme la porte que la jeune femme avait intentionnellement laissée ouverte. Peu de temps après, par peur de violence potentielle, elle accepte de lui masser les épaules. À son tour, il masse la plaignante et il descend éventuellement proche de son ventre et de ses seins; elle répond fermement « Non ». Il cesse. À plusieurs reprises, cela se reproduit : des attouchements, une demande non équivoque d’arrêter, la cession des actes accompagnée de paroles de la part de monsieur se vantant qu’il est bon et qu’il est capable de se contrôler. À chaque fois, les attouchements recommencent jusqu’au moment où il sort son pénis et le place sur les jambes de la plaignante. Elle ne l’a jamais repoussé; encore par peur d’une violence potentielle. À sa dernière demande, il s’arrête, lui donne 100 $, et lui dit de n’en parler à personne. Rendue chez elle, elle appelle la police.

Il peut y avoir des agressions même avec des partenaires qui se connaissent bien et qui sont intimes depuis longtemps.

M. Ewanchuk a été acquitté par le juge du procès, indiquant que la plaignante avait consenti tacitement aux attouchements. L’acquittement est confirmé en majorité par la Cour d’appel. Avec son pouvoir discrétionnaire, la Cour suprême inscrit une déclaration de culpabilité à la suite des nombreuses erreurs de droit commises par les juges des cours inférieures. L’analyse est fondée en partie sur l’article 265 du Code criminel. L’actus reus des agressions sexuelles comporte trois éléments et la mens rea en comporte deux. L’accusé doit avoir (i) posé des attouchements (ii) de nature sexuelle envers la plaignante (iii) sans son consentement. Le consentement de la plaignante peut être subjectif, mais seul l’état d’esprit de la plaignante est pris en compte. Une fois que le juge de procès confirme sa crédibilité et croit son témoignage, le procureur de la poursuite se décharge de son fardeau de preuve sur cet aspect de l’actus reus. Si la victime témoigne qu’il n’y avait aucun consentement et qu’elle ne voulait pas que les attouchements se produisent, c’est qu’il n’y avait pas de consentement.


La mens rea requiert (i) l’intention des attouchements et (ii) la connaissance de ce manque de consentement. Son évaluation peut prendre en considération l’état d’esprit de l’accusé.  À ce moment, l’accusé peut établir une défense de la croyance sincère, mais erronée. Si, par ses paroles ou ses actes, la plaignante avait pu tromper l’accusé et susciter chez lui une croyance sincère de la présence son consentement, ne relevant pas de son insouciance ou de son aveuglement volontaire, on peut conclure que l’élément moral requis est manquant pour le déclarer coupable. Sinon, la mens rea est établie et l’accusé est coupable d’agression.


Le consentement n’est pas un fait juridique statique; une fois donné, il peut être révoqué subitement. Avant de recommencer l’acte sexuel, on doit s’assurer que le consentement est reçu à nouveau, soit par des paroles ou par des actions. Le silence, la passivité ou un comportement ambigu n’est guère suffisant pour conclure que le consentement a été donné. De plus, la crainte vicie le consentement dans tous les cas, même lorsqu’elle n’a pas été divulguée à l’accusé. La Cour précise que la défense de croyance sincère est une défense légitime; en revanche, cette défense ne pouvait s’appliquer avec M. Ewanchuk, puisque la plaignante a très clairement exprimé son absence de volonté, par ses paroles, à plusieurs reprises.


Quant à la juge L’Heureux Dubé, elle pousse son analyse une étape plus loin. Elle rejette explicitement la notion des mythes et stéréotypes qui peuvent être employés lors des procès; elle refuse catégoriquement que les agressions sexuelles commises par des hommes soient plutôt de nature hormonale que criminelle. Ces stéréotypes n’ont aucune place dans notre système juridique, car ils « minimisent l’importance de la conduite de l’accusé et la réalité des agressions sexuelles dont les femmes sont victimes » (par. 91). Les juges ne doivent jamais fonder leur analyse sur les mythes du viol, surtout lorsqu’ils ont déjà accepté le témoignage de la victime.


Aujourd’hui, malgré le fait qu’on s’assure que l’état mental de la victime soit pris en compte afin d’établir l’actus reus, nous avons encore beaucoup de travail à faire afin de mieux protéger les victimes d’agressions sexuelles. La question de déterminer s’il y a eu consentement est encore d’actualité. En 2014, la Cour suprême, avec une majorité de 4, statue que lorsqu’un accusé perce des trous dans un condom alors que le consentement a été donné pour avoir des relations sexuelles protégées, le consentement est vicié par le dol. La minorité croyait plutôt qu’il n’y avait jamais eu de consentement; ils prétendent qu’en matière sexuelle, le consentement doit être donné non seulement sur l’activité, mais également sur la façon dont l’activité sexuelle se déroule (4).


Comme mentionné auparavant, le consentement doit être donné à chaque relation et à chaque étape de celle-ci. L’historique sexuel ne devrait alors pas être pris en compte. En revanche, sous certaines conditions, la Cour accepte d’utiliser l’historique sexuel de la plaignante, sous sa discrétion. Cependant, cette discrétion est souvent utilisée de manière libérale plutôt que restrictive. Puisqu’il y a eu consentement donné dans le passé, on accepte qu’il dût nécessairement avoir consentement pour l’acte en question (5). Admettre cette preuve pourrait nous amener à conclure à tort qu’il y a eu consentement, et ceci mènerait à restreindre l’application de l’arrêt Ewanchuk. On pourrait croire que ses conditions d’application devraient seulement être utilisées lorsqu’il s’agit de relations sexuelles avec un étranger, ce qui est faux. Il peut y avoir des agressions même avec des partenaires qui se connaissent bien et qui sont intimes depuis longtemps. Malheureusement, c’est de cette manière que certains juges de procès l’appliquent lorsqu’on est en présence de conjoints mariés; ils prétendent que le consentement tacite existe dans les couples de longue durée. Heureusement, dans au moins une affaire, la Cour d’appel de l’Ontario a infirmé cette décision (5). Il est clair qu’il y encore de la confusion quant à l’appréciation des faits et l’application de la jurisprudence lors des procès relevant des agressions sexuelles.


Au Québec, on se rapproche tranquillement de la possibilité d’établir un tribunal spécialisé en matière d’agressions sexuelles. Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a conféré à un groupe de travail le mandat de porter attention à la cause et de déterminer si ce projet est faisable (6). S’il s’avère possible, on espère qu’il sera utile afin de mieux supporter les victimes d’agression sexuelle lors de leur démarche judiciaire. Il y a encore des hésitations et des déceptions quant au groupe formé puisqu’il manque de diversité quant aux membres du groupe, mais c’est une petite première étape qui a la possibilité de grandement améliorer le processus judiciaire pour le nombre trop élevé de personnes qui doivent recourir au système de justice après avoir subi une agression. Je n’ai toujours pas de réponses quant aux questions posées, mais j’ai très hâte de voir où le futur nous mènera.

Sources citées

  1. Adam COTTER et Laura SAVAGE, « La violence fondée sur le sexe et les comportements sexuels non désirés au Canada, 2018 : Premiers résultats découlant de l’Enquête sur la sécurité dans les espaces publics et privés », Le Quotidien, 5 décembre 2019, [En ligne], https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/85-002-x/2019001/article/00017-fra.htm, consulté le 28 février 2021.

  2. STATISTIQUES CANADA, « Une étudiante sur dix a été agressée sexuellement dans un contexte d’études postsecondaires », Le Quotidien, 14 septembre 2020, [En ligne],  https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/200914/dq200914a-fra.htm, consulté le 28 février 2021.

  3. R. c. Ewanchuk, [1999] 1 R.C.S. 330.

  4. R. c. Hutchinson, [2014] 1 R.C.S. 346.

  5. Elaine CRAIG, « Ten years after Ewanchuk the art of seduction is alive and well: an elimination of the mistaken belief in consent defence », (2009) 13 Ca. Crim. L. Rev. 247.

  6. RADIO-CANADA, « Agressions sexuelles : le projet de tribunal spécialisé québécois à l’étape du comité, Radio-Canada, 8 février 2021, [En ligne], https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1769161/quebec-tribunal-agressions-sexuelles-violences-conjugales, consulté le 21 février 2021.

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