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Comme l’histoire est écrite par les conquérants, c’est à la résistance d’inspirer les générations futures

Auteur·e·s

Kétura Daméus

Publié le :

30 avril 2025

J’ai environ 10 ans, je suis à la table de la cuisine en train de faire mes devoirs. Bientôt, j’irai jouer chez une amie. Mon père s’approche de moi et me rappelle que, pour se faire des ami.es et éviter les inconforts, il faut éviter de parler de religion et de politique. Je suis prise par surprise. Après tout, il s'agit des sujets de prédilection de mes parents à la maison. Si la discussion ne portait pas sur la religion, elle tournait invraisemblablement autour de Stephen Harper ou de Jean Charest, qui étaient premiers ministres à l’époque. Voulant faire partie du groupe, j’ai suivi son conseil à la lettre, un conseil qui m’a, d’ailleurs, souvent été répété.

Si la discussion ne portait pas sur la religion, elle tournait invraisemblablement autour de Stephen Harper ou de Jean Charest, qui étaient premiers ministres à l’époque.

Or, la décennie suivante me réservait de drôles de surprises. D’ailleurs, un des premiers évènements de cette dernière fut le tremblement de terre en Haïti, qui a raflé la vie de plus de 250 000 personnes et détruit une grande partie des infrastructures de la capitale. Ma grand-mère, qui était résidente permanente canadienne à l’époque, est restée près d’un an dans des conditions de vie peu adéquates avant de pouvoir revenir auprès de sa famille au Canada. Les discussions sur l’accueil des réfugiés et des demandeurs d’asile ainsi que la distribution de ressources financières et matérielles n’étaient plus des discussions lointaines, mais des conversations régulières que j’entendais des adultes autour de moi.


Au début du secondaire, j’ai assisté à l’émergence du mouvement Black Lives Matter, suite au décès de Trayvon Martin alors âgé de 17 ans. Dans cette affaire, un jeune adolescent noir fut tué par un membre de son neighborhood watch (équipe de surveillance de quartier), Georges Zimmerman, parce qu’il avait l’air menaçant avec son capuchon. Bien que les services d’urgence aient demandé à Zimmerman de ne pas intervenir, il a cru à tort que Martin était armé. En réalité, le jeune garçon avait un sac de Skittles dans la poche de son hoodie et Zimmerman l’a abattu alors qu’il n’était pas armé. Lors de son procès, il sera acquitté. Devant une telle tragédie, les opinions fusaient de partout pour tenter de faire sens de la situation. Elles étaient parfois basées sur des faits, d’autres fois sur des stéréotypes et biais raciaux et, parfois, mon opinion était interpellée par mes camarades de classe. Du jour au lendemain, je me suis vue attribuer le rôle de défenderesse des droits civiques des personnes noires, alors que mes connaissances se limitaient aux accomplissements de Martin Luther King et à l’esclavagisme américain.


Mes années au secondaire ont été marquées par la grève étudiante de 2012 ; la tentative d’assassinat de Pauline Marois après son élection comme première femme Première ministre du Québec ; la montée de l’État islamique et la vigilance accrue à laquelle mes ami.e.s arabes devaient composer (un mot en arabe valait une période au bureau de la directrice) et finalement les micro-agressions constantes que je vivais de la part de mes camarades de classe et de mes enseignant.e.s. Il devenait évident que la politique, bien qu’elle semblait très loin de moi, impactait toutes les sphères de ma vie.


Passionnée par la lecture depuis mon plus jeune âge, je me suis régulièrement réfugiée derrière elle lorsque les choses tournaient au vinaigre dans la réalité. C’est ainsi que j’ai été introduite à mes premières lectures féministes et antiracistes. Les livres sont devenus ma vitrine sur le monde où les idées étaient librement débattues. Mes expériences faisaient écho à celles de mes héroïnes favorites et mes idées préconçues étaient discutées, puis déconstruites. Ce sont dans les livres de fiction jeunesse que j’ai été introduite aux réalités comme le suicide; le deuil d’un proche; la conformité au système pour éviter d’être rejetée; les effets des agressions sexuelles; les effets de l’homophobie sur les personnes gaies ou encore les autres formes d’injustices révoltantes. Les livres ont donné une raison de vivre à ma compassion et le feu nécessaire pour les luttes de justice sociale à venir. La fiction et les romans jeunesse ont ouvert le bal aux mémoires et aux essais politiques, féministes et sociologiques.


La politique et la littérature sont indissociables. La pouvoir de raconter nos histoires et nos réalités et qu’elles soient lues, a été un combat de longue haleine qui n’est toujours pas terminé. En effet, l’UNESCO estime que, des 754 millions de personnes analphabètes au monde, les deux tiers sont des femmes. Outre l’accès à l’éducation, apprendre à lire est également un moyen d’émancipation économique et sociale. Les personnes noires, autochtones et racisées ont fait face à d’importants obstacles pour avoir l’accès à une éducation semblable à celle de leurs pairs issus de la majorité blanche. Si nous reconnaissons le lien intrinsèque entre la lecture et la politique, nous comprenons rapidement que les mots ont un pouvoir et que nous demeurons souvent aveugles à des réalités qui restent dans le noir. Comment pouvons-nous en apprendre davantage sur les événements atroces de l’histoire si les récits ne traversent pas les époques et les langues pour se trouver dans nos mains ? Il n’est donc pas surprenant que le premier angle d’attaque des législatures identitaires soit de limiter notre capacité de choisir nos lectures.


Depuis quelques années déjà, une inquiétante tendance s’observe dans les États américains républicains qui nous rappellent les années Duplessis. En effet, les associations de parents et les gouvernements d’État bannissent des livres des bibliothèques scolaires et des salles de classe. La Chambre des représentants américaine, l’équivalent de la Chambre des communes, a répertorié quelques milliers d’incidents dans le genre. Ces livres radiés racontent des histoires diversifiées et présentent des personnages qui sont noirs, autochtones, racisés, membres de la communauté LGBTQ+, en situation de handicap ou qui sont victimes de violence à caractère sexuel. En retirant ses récits des tablettes, les administrateur.ices espèrent que ces identités disparaîtront. Malheureusement, ce mouvement résonne au Canada, où l’organisme Take Back Canada encourage ses membres à mettre aux toilettes les livres qui explorent des sujets comme l’orientation sexuelle et l’identité de genre.


En encourageant les jeunes à éviter de discuter de politique avec leurs ami.es et leurs connaissances, on crée une société où l’intolérance se taille une place centimètre par centimètre. En étant incapables d’avoir un débat d’idées et d’être confrontés à une réalité différente, nous nous empêchons d’évoluer et de nous ouvrir sur le monde. Donc, lorsque les crises politiques surviennent et que nous assistons à l’érosion de nos droits, il devient difficile d’avoir les conversations difficiles. Et lorsque nous sommes incapables d’en apprendre sur l’autre par le dialogue, nous nous tournons vers la littérature; mais qu’arrive-t-il quand, elle aussi, censure les expériences des personnes marginalisées ? Ces personnes ne disparaissent pas de l’espace public et leurs luttes sont toujours réelles, peu importe les efforts qui sont faits pour les silencier. Cependant, collectivement, nous devenons moins sensibles à leurs enjeux, puisque nous n’y sommes plus exposés dans la sphère publique. Et si nous ne faisons rien lorsque les droits des plus vulnérables sont attaqués, qui restera pour protester lorsque nos droits seront attaqués?

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