top of page
Portrait%20sans%20photo_edited.jpg

Caricature sans censure

Auteur·e·s

Éline Lako

Publié le :

1 septembre 2020

« Tu étudies en quoi ?

— Oh, simplement en droit à l’Université de Montréal. », dis-tu avec fausse modestie et nonchalance forcée.


Soyons francs, dès la seconde où tu as reçu la fameuse lettre d’acceptation en droit, ton univers a basculé. Toutes les conversations menées avec ton entourage avaient pour sujet ta future carrière dans le domaine juridique. Ta bibliothèque, anciennement emplie de poésie, de livres fantastiques, de science-fiction et de biographies a été sujet à une incontestable métamorphose. Maintenant, chacun de tes livres comporte des termes spécifiques. S’il n’est pas marqué « code », « procédure », « responsabilité », « civil », « pénal », « loi » ou évidemment « droit », ce livre est officiellement banni. Sa place est plutôt dans l’armoire bien dissimulée sous ton lit. Serais-tu, à plus petite échelle, en train de placer des livres dans la liste noire comme il était jadis effectué dans les régimes totalitaires ? Tu places soigneusement dans cette armoire gagnée par la noirceur des bouquins que tu imagines lire durant tes vacances. Vacances ? Qu’est-ce que c’est ? Parlerais-tu de la saison estivale où tu vas plutôt tenter de te dénicher un emploi ou un stage relié au droit ?


En passant devant un miroir, tu t’observes. Une bouffée de satisfaction t’emplit. Tu serres un peu plus le nœud papillon de ton pantalon taille haute. Tu jettes un coup d’œil à tes souliers à petits talons subtils et professionnels, puis finalement tu t’assures que ta chemise est impeccable, qu’elle n’a pas la moindre froissure. Quelle classe ! Tu te dis que tu as l’apparence d’une future avocate… Si tu décidais de t’habiller autrement, de ne pas te conformer, serais-tu aussi « in » que présentement ?


Il est désormais temps d’aller rejoindre tes amis, vous aviez l’intention de discuter des possibilités d’implication dans les comités de droit autour d’un café. Ah oui, ils sont tous en droit. Depuis la réception de cette lettre d’acceptation, tu as fait le tri parmi tes amis. Le critère pour avoir droit à ton amitié est d’étudier dans le même domaine que toi. Après tout, il faut avoir des contacts en droit pour se trouver un bon emploi… Et bien évidemment de bonnes notes aussi, c’est pourquoi tu passes l’entièreté de ton temps, en dehors de tes cours magistraux, à la bibliothèque. La fameuse anxiété de performance… Mais quelle contagion chez les étudiants en droit !

Elle vise la perfection, rien de moins. Son objectif est de s’élever au-delà de la moyenne, d’avoir un emploi bien payé pour pouvoir consommer à sa guise.

La personne décrite ci-haut est perçue comme une personne raisonnable dans les circonstances, soit les études en droit. La jeune étudiante décrite est décidée à réussir et à triompher coûte que coûte dans le domaine juridique. Elle vise la perfection, rien de moins. Son objectif est de s’élever au-delà de la moyenne, d’avoir un emploi bien payé pour pouvoir consommer à sa guise. Elle regarde religieusement des séries telles que Suits et s’imagine marcher sur les pas d’Elle Woods du film Legally Blonde. Elle croit candidement qu’elle rendra le monde meilleur. Elle ressent une profonde admiration pour les grands juges de la Cour suprême et se surprend à rêver qu’un jour, elle aussi, pourra obtenir un poste aussi prestigieux.


Ce que je m’apprête à écrire risque de sembler humoristique, mais après avoir lu le roman 1984 de George Orwell, un élément crucial m’a sauté aux yeux. Bien que ce soit sans doute une comparaison exagérée, les études en droit et le régime totalitaire détiennent tout de même un point en commun. Tous deux savent créer un fort sentiment d’appartenance et miser sur un conformisme sans précédent qui priorise les membres se pliant avec succès aux exigences implicites et explicites du groupe auquel ils appartiennent.


Juste en observant la description faite de cette étudiante fictive, trois éléments propres à tout régime totalitaire peuvent être soulevés et illustrés.


Culte de la personnalité


L’étudiante ci-haut ressent une fierté de pouvoir associer sa propre personne à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. C’est la fausse modestie dénotée dans la réponse qu’elle offre à la question « Tu étudies en quoi ? » qui trahit cette fierté. Elle sait que de nombreuses possibilités d’emplois respectables lui seront offertes une fois le diplôme en poche. Elle marche sur les pas de ces grandes têtes pensantes qui ont su s’élever dans la société jusqu’à devenir juges dans des cours de dernière instance. Comme elle, ces individus ont vénéré le droit. C’est d’ailleurs ce qui les a menés aussi loin dans leur carrière juridique.


En outre, l’offre culturelle destinée aux jeunes adultes d’aujourd’hui soutient cette image glorieuse entourant le droit et ses disciples. L’étudiante elle-même écoute Suits et Legally Blonde avec adoration, idolâtrie et dévotion. C’est ainsi que se mène un endoctrinement triomphal sur la population étudiante.


Fort sentiment d’appartenance menant à l’isolement


L’étudiante commence à faire face à un événement fortement répandu chez sa communauté étudiante : l’épuration de son groupe social. Tel un bon membre de parti, il ne faudrait surtout pas rester en contact avec des gens en dehors de ce groupe restreint dont il se sent privilégié de faire partie. Tout bon étudiant en droit digne de ce nom doit avoir un nombre généreux de connaissances dans son domaine d’étude avec qui échanger sur des questions juridiques. Sur cette question, les réseaux sociaux sont d’une grande aide. Il n’est même pas nécessaire de savoir qui est la personne, tant qu’il est marqué qu’elle étudie en droit, l’étudiant typique va accepter ou même instaurer la demande d’amitié Facebook. En plus, c’est une occasion en or pour l’étudiant voulant se présenter aux élections de l’AED. Chaque nouvel ami Facebook est un nouvel électeur potentiel.


L’apparence physique aussi marque l’appartenance à un groupe. Dans les régimes totalitaires, souvent, un uniforme est de mise et permet rapidement d’identifier les fervents défenseurs du parti au pouvoir. Porter un vêtement non conforme aux normes préétablies est symbole de révolte et n’est certainement pas vu d’un bon œil. Si on reflète cette idée aux études en droit, on constate qu’en se promenant dans les couloirs de la Faculté, les pantalons à taille haute, les talons hauts, les chemises, les vestons et les cravates sont bien fréquents. Ils le sont probablement encore plus lors d’un 4@7. La jeune étudiante du début ne fait pas défaut à cette règle.


Monopole de la terreur


Dans un régime totalitaire, c’est le monopole de la force armée et de la terreur qui force les citoyens à respecter les exigences du parti. En droit, cette responsabilité est laissée entre les mains de l’anxiété de performance. Ce type de stress bien particulier pousse l’étudiant à assister avec rigueur à chacun de ses cours, à lire chaque recoin des lois, des doctrines et des cas jurisprudentiels qui sont mentionnés dans son plan de cours et à passer d’innombrables heures à la bibliothèque.


Terrifiée par l’échec et axée sur la performance, l’étudiante mentionnée plus haut passera son temps à optimiser ses connaissances et ses compétences juridiques. Elle a notamment trouvé une tactique pour parvenir à cette fin, soit de sélectionner ses lectures. Elle s’implique aussi dans plusieurs comités ou encore pour le journal étudiant, puis assiste aux 4@7. Pour ce qui en est de ses vacances, elle les voit comme un trou à combler dans son agenda. Elle priorise ainsi la recherche d’un emploi ou d’un stage relié à son domaine d’étude pour la période estivale.


Bon, d’accord, je vais l’avouer, il fait bon étudier en droit à l’Université de Montréal et sans doute suis-je en train de tenir des propos dramatiques en comparant les études de droit au régime totalitaire, mais la réalité est telle que pour faire passer un message, il faut souvent démontrer un extrême. C’est ce qui fait réagir qui permet de véritablement saisir la complexité de la situation. Il est bien facile de dire aux étudiants de ne pas se forcer à entrer dans le moule et de demeurer authentiques. Ils risquent même d’acquiescer et de croire véritablement appliquer ce conseil. Néanmoins, le fait est qu’inconsciemment, une pression s’exerçant sur eux les pousse vers le conformisme. L’exemple le plus probant est forcément celui de la course aux stages. Certains participants n’y prennent part que parce qu’ils ont l’impression que c’est ce à quoi on s’attend d’eux et parce qu’ils voient les autres étudiants y participer et en parler avec animation. Ainsi, bien que les étudiants détiennent formellement la liberté d’agir comme ils le souhaitent dans le cours de leurs études de droit tant qu’ils ne portent pas atteinte à la liberté d’autrui, souvent, ils n’accaparent pas cette liberté.


De toute évidence, il faut savoir s’adapter et investir dans l’apprentissage de notions juridiques. Toutefois, il est important de garder en tête que la différence qui se trouve entre chacun d’entre nous enrichit notre communauté étudiante. Il faut oser affronter les critiques et cultiver notre différence puisque c’est elle qui nous rend uniques. Il ne faut pas laisser ses passions, ses intérêts et ses goûts de côté simplement parce qu’ils ne concordent pas avec l’idée préconçue de ce qu’est un étudiant en droit. L’essentiel est de toujours maintenir un équilibre et de prendre le temps de s’écouter.

bottom of page