Balarama Holness et un rêve irréalisable
Auteur·e·s
Gabriel Auger Pinsonneault
Publié le :
5 novembre 2021
Alors que les Montréalais (et les Québécois) s’apprêtent à aller voter aux élections municipales qui se tiendront le 7 novembre prochain, le chef de Mouvement Montréal y est allé non pas d’une, mais de deux propositions surprenantes : faire de Montréal une ville bilingue et la munir d’un statut de « cité-État ». Sans donner trop de détails sur sa proposition, il argumente que cela permettrait à la deuxième ville d’importance au pays d’accroître ses pouvoirs en matière d’immigration et de taxation, notamment. Le hic, c’est que deux obstacles de taille se dressent sur son chemin : la Loi constitutionnelle de 1867 et la CAQ.
Il est donc irréaliste de croire que les circonstances politiques actuellement en vigueur au Québec permettraient à Montréal d’obtenir le statut de ville bilingue, ce qui exigerait, entre autres choses, la modification de la Charte de la Ville de Montréal, métropole du Québec, qui prévoit à son premier article que « Montréal est une ville de langue française.
Dans une perspective juridique, les municipalités n’ont pas de statut protégé dans la Constitution canadienne. En fait, il est de la prérogative provinciale d’établir des municipalités et de déterminer l’étendue des pouvoirs qu’elle leur délègue. L’article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit : « Dans chaque province la législature pourra exclusivement faire des lois relatives tombant dans les catégories de sujets ci-dessous : (8) les institutions municipales dans la province ». Ce pouvoir a d’ailleurs été interprété largement par nos tribunaux. C’est ainsi que le gouvernement du Québec a pu fermer la municipalité de Gagnon et relocaliser sa population en 1985, malgré l’opposition de celle-ci. Le gouvernement québécois n’a pas non plus l’obligation d’indemniser les personnes (morales et physiques) lorsqu’il prend la décision de fermer une municipalité. Il est également de la prérogative exclusive de la législature provinciale de fusionner et dé-fusionner des municipalités, avec ou sans leur consentement, pour autant que le processus législatif en la matière soit respecté. Les grandes fusions de 2002, qui ont transformé l’étendue territoriale de multiples villes, dont Gatineau, Montréal et Québec et qui en ont vu naître d’autres, en sont un parfait exemple. D’ailleurs, le juge Claude Tellier de la Cour supérieure a rappelé, on ne peut plus clairement, ces principes dans la décision Mont-Tremblant c. St Jovite, dans laquelle des citoyens de Mont-Tremblant s’objectaient à ce que la municipalité de St-Jovite soit jumelée à la leur :
Il relève de la compétence exclusive de l'Assemblée nationale d'adopter des lois pour ériger des territoires en occurrence des municipalités, constituer des conseils municipaux, statuer sur leur composition et les pouvoirs qui leur sont conférés. Nos recueils annuels de lois témoignent depuis toujours de l'exercice de cette compétence en rapportant toute une série de lois privées accordant à plusieurs municipalités des chartes contenant des dispositions particulières. La compétence d'une législature en matière municipale est bien établie.
La Cour suprême du Canada, sous la plume des juges Wagner et Brown, a d’ailleurs réitéré l’étendue des pouvoirs des législatures provinciales sur les municipalités qui sont des « créatures de la province » dans Toronto c. Ontario (Procureur général). Cette décision survient après que le gouvernement ontarien de Doug Ford ait décidé, en pleine campagne électorale municipale et de façon unilatérale, de réduire le nombre de sièges au conseil municipal de Toronto de 47 à 25. S’opposant à cette mesure, la Ville reine plaidait le principe non écrit de « démocratie » ainsi que la liberté d’expression des candidats électoraux pour faire invalider la mesure. Elle a été déboutée sur les deux points. Pour le plus haut tribunal au pays : « le principe constitutionnel non écrit de la démocratie ne peut pas être invoqué pour restreindre la compétence provinciale prévue au par. 92(8) de la Loi constitutionnelle de 1867. » Qui plus est, la Cour suprême souligne que l’article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés en matière de droits politiques ne s’étend pas aux municipalités, son champ d’application étant bien défini : « Tout citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales. » L’arrêt Toronto est important pour le droit constitutionnel et municipal canadien en ce qu’il met de l’avant la dynamique qui existe entre une législature provinciale et sa « créature ». Encore une fois, on s’aperçoit que ce sont les provinces qui ont le dernier mot sur tous les aspects des municipalités, de leur création à la composition de leur conseil municipal.
Dans une perspective politique, le gouvernement actuellement en place à l’Assemblée nationale n’acquiescera jamais aux demandes de M. Holness, même s’il devait devenir maire de la métropole et que son parti devait remporter plusieurs sièges dans les différentes instances décisionnelles de la ville (conseil de ville, conseils d’arrondissements, etc.). La CAQ est ouvertement nationaliste et son chef, le premier ministre François Legault, s’est autoproclamé « défenseur » des intérêts de la nation québécoise, ce qui inclut très certainement le caractère francophone de la province. Il est donc irréaliste de croire que les circonstances politiques actuellement en vigueur au Québec permettraient à Montréal d’obtenir le statut de ville bilingue, ce qui exigerait, entre autres choses, la modification de la Charte de la Ville de Montréal, métropole du Québec, qui prévoit à son premier article que « Montréal est une ville de langue française. » Le tout, sur fond du projet de loi 96 qui prévoit notamment le retrait par simple effet de la loi du statut bilingue de certaines municipalités québécoises qui ne respectent plus les critères de l’article 29.1 de la Charte de la langue française, à moins d’action positive de leur part. Force est donc d’admettre que le projet de Balarama Holness de faire de Montréal une ville bilingue a très peu de chance de réussir tant que la CAQ sera au pouvoir. Quant à son idée de faire de Montréal une cité-État pour la doter de plus de pouvoirs, seule une action positive de la part de Québec pourra le permettre, l’Assemblée nationale étant souveraine en cette matière. D’ailleurs, considérant que l’électorat de la CAQ à Montréal est plus restreint en proportion que dans d’autres régions de la province, il est peu probable que le parti cherche à « récompenser » ses citoyens en déléguant davantage de pouvoirs à leurs élus de proximité. Montréal ne bénéficiera donc pas du statut d’Athènes de sitôt.
Sources citées:
Le Devoir, « Balarama Holneses veut un statut bilingue pour la Ville de Montréal ».
Jean HETU, Yvon DUPLESSIS et Lise VÉZINA, Droit municipal : principes généraux et contentieux, 2e édition, vol.1, Brossard, Wolters Kluwer Canada Ltée, 2020, p. 241
Laurent Brodeur inc. c. Québec (Procureur Général), [1997] R.R.A. 316
Mont Tremblant (Municipalité) c. St-Jovite (Paroisse de), [2000] R.J.Q. 2299
Godbout c. Longueuil (Ville de) [1997] 3 R.C.S 844, par. 51
Toronto c. Ontario (Procureur general), [2021] R.C.S. 34
Ibid., par.5
Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.)], (ci-après « C.c.d.l. »), art. 3
Charte de la Ville de Montréal, métropole du Québec, RLRQ, c. C-11.4, art. 1