top of page
Portrait%20sans%20photo_edited.jpg

Animaux à sarrau : ont-ils une place en laboratoire ?

Auteur·e·s

Philomène Paul et Aly-Ann Paris, membres du FEDJA

Publié le :

8 avril 2024

L’avancement de notre société s’appuie largement sur les progrès scientifiques. Ainsi, pour développer des connaissances en science, plusieurs chercheurs font appel à l’utilisation d’animaux. En 2022, au Canada, 3 521 143 animaux ont été utilisés dans les établissements certifiés par le Conseil canadien de protection des animaux (CCPA) à des fins scientifiques, soit pour la recherche, l’enseignement ou les essais (1.1). Ces animaux sont en majorité des souris, des poissons et des bovins, mais les statistiques indiquent également l’utilisation d’oiseaux, de porcs, de chiens, de primates non humains, de chats, etc. (1.2). Pour mieux comprendre de quelle façon les animaux sont utilisés pour la science, il est important d’être informé.e des conditions des animaux dans les laboratoires, ainsi que des types de tests leur étant infligés, des lois applicables et de certaines alternatives. Ainsi apparaissent deux constats : il y a une grande place à l’amélioration des conditions de ces animaux et leur utilisation, parfois non essentielle, pourrait être mieux encadrée par la législation.

Ne jamais connaître un environnement de vie saine et stimulant, est-ce vraiment la vie qu’ils méritent ?

Différents types de tests et conditions des animaux dans les laboratoires

Les animaux sont utilisés dans le cadre de tests pour des produits provenant de différentes sphères de la vie humaine, parfois sans même que l’on s’en rende compte. Une multitude de produits de tous les jours ont été testés sur des animaux avant d'atterrir sur les tablettes. On peut penser entre autres à de nombreux produits de consommation, aux armements militaires, aux pesticides, etc. (2). Le domaine médical est aussi reconnu pour utiliser des animaux dans le cadre de recherches qui, pour des questions légales et d’éthique, ne peuvent utiliser des humains pour effectuer des tests dans l’objectif de développer des « médicaments, vaccins et autres traitements. » (3).


Concrètement, quelles manipulations subissent ces « cobayes » ? Des animaux conscients peuvent se faire infliger des brûlures ou blessures graves sans anesthésie et ensuite se faire appliquer des substances mortelles sur leurs corps ou ils peuvent être forcés à ingérer des produits chimiques dangereux, des drogues, etc. (4). Ils peuvent aussi se faire forcer à inhaler des substances toxiques causant l’irritation ou la brûlure des poumons (5.1) ou se faire injecter des virus mortels (6.1). Les chercheur.se.s peuvent ainsi disséquer et examiner les entrailles de leurs cobayes pour documenter les dommages causés aux organes. Lorsque l'expérimentation est terminée, les animaux qui ont servi à la prise de données sont généralement tués (5.2) (6.2).


Ce ne sont pas seulement les manipulations qui soulèvent des questions éthiques, mais également les conditions de vie dans lesquelles les animaux sont séquestrés. Ceux-ci sont gardés dans des petites cages et lorsqu’ils subissent des tests, ils sont restreints pour éviter qu’ils puissent se débattre (6.3). Par exemple, l’organisme Last Chance for Animals (LCA), a, par voie de caméra cachée, filmé plusieurs scènes d’horreur au laboratoire de recherche de Montréal ITR Laboratories en 2016 (7). On peut y voir, notamment, des animaux subissant de la violence physique et psychologique (8.1). Certains animaux sont isolés pendant plusieurs mois sans stimuli, les cages sont petites et il y a des piles d’excréments par terre (8.2). Ne jamais connaître un environnement de vie saine et stimulant, est-ce vraiment la vie qu’ils méritent ?


Législation

Nos lois, qu’elles soient provinciales ou fédérales, sont lacunaires en ce qui concerne la protection des animaux utilisés en laboratoire. Aucune d’entre elles n’encadre véritablement la protection de tous les animaux utilisés en laboratoire et n’impose pas des règles strictes par rapport à leur sécurité et les soins qui leur sont nécessaires. Néanmoins, quelques améliorations dans la législation ont été apportées à ce sujet au niveau fédéral.


L’adoption du Projet de loi S-5, soit la Loi sur le renforcement de la protection de l’environnement pour un Canada en santé (9.1), intègre le principe des Trois R (remplacement, réduction, raffinement) et énonce son importance pour améliorer les conditions des animaux dans les essais de toxicité (10), sans intégrer des normes ou règles strictes à respecter. Le remplacement met de l’avant les méthodes remplaçant ou évitant l’utilisation des animaux dans les domaines où ils sont habituellement utilisés, la réduction désigne différentes solutions visant à réduire le nombre d’animaux utilisés en maximisant les données obtenues sur chaque animal et finalement, le raffinement vise à modifier les procédures afin de diminuer la souffrance et la détresse chez l’animal (11). Cette loi (9.2) est davantage un incitatif au changement de culture dans les laboratoires qu’un texte de loi restrictif, ce qui est dommage dut au fait que l’utilisation des animaux dans la collecte de données scientifiques est bien ancrée dans les mœurs de notre société.


S’ajoute à ce dernier le projet de Loi C-47 qui a modifié la Loi sur les aliments et drogues pour interdire les essais de cosmétiques sur les animaux (12.1). Son article 16.‍2 « interdit de conduire des essais sur des animaux qui pourraient causer à ceux-ci de la douleur, de la souffrance ou toute blessure, qu’elles soient physiques ou mentales [...] en ce qui a trait à un cosmétique ». De plus, l’article 16.1(1) interdit la vente de cosmétiques dont les essais font appel à la cruauté animale. 


Malheureusement, cet article comporte plusieurs exceptions, la plus importante étant que l’interdiction ne s’applique pas aux produits qui ont déjà été vendus au Canada ou dont le test a été effectué avant l’entrée en vigueur de l’article (12.2).

Au Québec, la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal pose dans son préambule que la condition animale est une préoccupation de grande importance et qu’il est du devoir de la société québécoise de protéger ces êtres sensibles et de « veiller au bien-être et à la sécurité des animaux » (13.1). Nous pouvons supposer que les animaux utilisés en laboratoire sont inclus dans cette affirmation générale… Ce n’est malheureusement pas le cas si nous nous fions notamment à l’article 7 qui formule une exception majeure : les activités de recherche scientifique sont dites comme exclues du champ d’application de plusieurs dispositions (13.2). Ainsi, les chercheurs scientifiques et les laboratoires n’ont pas l’obligation de « s’assurer que le bien-être ou la sécurité de l’animal n’est pas compromis » (13.3). Selon la loi, « [n]ul ne peut [...] faire en sorte qu’un animal soit en détresse » (13.4). Encore une fois, cette disposition peut être dérogée en réponse à l’exception décrite ci-haut par les scientifiques, qui peuvent alors causer la mort, des lésions graves, des douleurs, de la souffrance ou la détresse d’animaux sans conséquences légales.


Dans la même lancée, le Règlement sur les animaux en captivité (14.1) pose également plusieurs exceptions s’appliquant à la garde d’animaux utilisés à des fins de recherche scientifique. L’élément le plus problématique de ce Règlement est son article 17. En effet, lorsqu’un établissement détient un certificat de Bonnes pratiques animales (BPA) décerné par le CCPA, plusieurs sections du Règlement ne s'appliquent pas aux animaux « gardé[s] en captivité à des fins d’enseignement ou de recherche scientifique » (14.2). Ainsi, plusieurs normes de santé et bien-être de l’animal peuvent être mises de côté, par conséquent les animaux instrumentalisés pour la recherche scientifique peuvent être maltraités sans que leurs bourreaux ne subissent de conséquences.


Cet organisme, le Conseil canadien de protection des animaux (CCPA), a pour objectif de surveiller l’utilisation des animaux en science en ce qui a trait aux soins qui leurs sont donnés et à veiller au respect de l’éthique (15.1). Il effectue des évaluations des laboratoires, émet des certificats, s'assure du respect des normes, etc. (15.2). Malheureusement, en pratique, il n’a aucune autorité légale à l’encontre des laboratoires qui ne respectent pas les normes (6.4). Ces dernières deviennent alors plutôt des guides à suivre de façon volontaire. La seule action qui puisse être intentée par le CCPA est de recommander au gouvernement de cesser de financer ledit laboratoire (6.5). De plus, selon la SPCA, les laboratoires privés qui ne sont pas financés par le public « ne sont pas [soumis] au CCPA et ne font l’objet d’aucune surveillance » (16).


Alternatives possibles

Dans le but de trouver des alternatives à l’utilisation des animaux dans le domaine scientifique, plusieurs chercheur.se.s avant-gardistes travaillent afin de développer de nouvelles méthodes pouvant éventuellement remplacer le recours à ces animaux dans les laboratoires (17.1). Expliquées approximativement, les expériences in vitro supposent de créer des organes sur puce (« organs-on-a-chip ») contenant une culture de cellules humaines afin de prédire les réactions qu’aurait une personne à un médicament, produit chimique ou cosmétique, par exemple (17.2). Ensuite, la méthode in silico peut servir à simuler la biologie humaine, à vérifier de façon précise la réaction d’un médicament dans un corps humain et même à suivre la progression d’une maladie (17.3). Puis, la technique de recherche sur les personnes volontaires consiste à utiliser, entre autres, la technique du « micro-dosage » afin de recueillir plusieurs informations pertinentes sur la façon dont un médicament administré à très faible dose réagira dans le corps (17.4).


Ces alternatives pourront également contribuer à solutionner la contradiction inhérente suivante : « on ne peut pas affirmer que d’une part, les animaux nous sont si semblables que les résultats des tests que l’on pratique sur eux sont pertinents pour les humains, mais d’autre part, avancer qu’ils sont si différents de nous que nous pouvons leur faire tout ce que nous voulons, peu importe à quel point c’est douloureux ou inutile. » (18)


En somme, la législation, malgré les récents ajouts, reste peu protectrice en ce qui concerne les animaux utilisés pour la recherche scientifique. Il serait impératif que des initiatives gouvernementales soient prises afin d’encadrer davantage leur condition et leur utilisation que ce soit dans des lois plus strictes ou dans la mise en place d’un organisme plus coercitif que le CCPA. En tant que société moderne, souhaitons-nous réellement perpétuer des pratiques insensibles sur des êtres vivants plutôt qu’investir de façon plus répandue dans l’exploration de pratiques alternatives sans cruauté ? La science, aussi essentielle soit-elle, ne devrait pas être entachée de violence afin de contribuer au progrès de la société.

(1.1) (1.2) CCPA, « Rapport du CCPA sur les données sur les animaux », 2023, p. 1-3, en ligne : < https://ccac.ca/Documents/AUD/Rapport_du_CCPA_sur_les_donnees_sur_les_animaux_pour_2022.pdf?fbclid=IwAR3UE-mc4YNPYJmb6vYQvglgqp21-L5QLSHmPnv2GSS11xvLThQB4E7k8i4>

(2) « L’expérimentation animale à travers l’Histoire », Animal Testing, 16 septembre 2018, en ligne : <https://animaltesting.fr/4219-lexperimentation-animale-a-travers-lhistoire>

(3) Université de Genève, « Expérimentation animale », en ligne : <https://www.unige.ch/recherche/expanim/description/les-questions-frequentes>

(4) « Paliament Passes Groundbreaking Bill to End Toxicity Tests on Animals », Animal Justice, 14 juin 2023, en ligne : <https://animaljustice.ca/media-releases/breaking-parliament-passes-groundbreaking-bill-to-end-toxicity-tests-on-animals>

(5.1) (5.2) « Backgrounder on Toxicity Testing Amendments », Animal Justice, juin 2023, p. 1, en ligne : <https://animaljustice.ca/wp-content/uploads/2023/06/Backgrounder-on-Bill-S-5.pdf>

(6.1) (6.2) (6.3) (6.4) (6.5) Shannon NICKERSON, « New Data: Millions of Mice, Fishes, Cows & Dogs Suffered in Canadian Labs in 2022 », Animal Justice, 26 janvier 2024, en ligne : <https://animaljustice.ca/blog/2022-lab-animal-data>

(7) Kevin NEWMAN, « W5: Undercover investigation reveals what goes on inside Montreal animal research lab », CTV News, 11 mars 2017, en ligne : <https://www.ctvnews.ca/w5/undercover-investigation-reveals-what-goes-on-inside-montreal-animal-research-lab-1.3320123>

(8.1) (8.2) Christopher NARDI, « Des gestes brutaux “inacceptables” envers les animaux », Le journal de Montréal, 11 mars 2017, en ligne : <https://www.journaldemontreal.com/2017/03/11/des-gestes-brutaux-inacceptables-envers-les-animaux>

(9.1) (9.2) Loi sur le renforcement de la protection de l’environnement pour un Canada en santé, L.C. 2023, c. 12

(10) GOUVERNEMENT DU CANADA, « Projet de loi S-5, Loi sur le renforcement de la protection de l’environnement pour un Canada en santé - Résumé des modifications », 16 juin 2023, en ligne : <https://www.canada.ca/fr/services/environnement/pollution-gestion-dechets/renforcer-loi-canadienne-protection-environnement-1999/projet-loi-c-28-renforcement-protection-environnement-canada-sante-resume-modifications.html#toc8>

(11) CCPA, « Trois R », s.d., en ligne : <https://ccac.ca/fr/trois-r/remplacement-reduction-raffinement.html>

(12.1) Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. 1985, c. F-27

(12.2) Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. 1985, c. F-27, art. 16.1(2)d) et art. 16.1(2)e)

(13.1)  Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal, RLRQ, c. B-3.1

(13.2) Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal, RLRQ, c. B-3.1, art. 7

(13.3) Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal, RLRQ, c. B-3.1, art. 5

(13.4) Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal, RLRQ, c. B-3.1, art. 6

(14.1) Règlement sur les animaux en captivité, RLRQ, c. C-61.1, r. 5.1

(14.2)  Règlement sur les animaux en captivité, RLRQ, c. C-61.1, r. 5.1, art. 17

(15.1) (15.2) CCPA, « À propos du CCPA », s.d., en ligne : <https://ccac.ca/fr/a-propos/a-propos-du-ccpa/>

(16) « Pratiques troublantes dans un laboratoire de recherche : qui est responsable et que peut-on faire? » SPCA Montréal, 16 mars 2017, en ligne : <https://www.spca.com/frpratiques-troublantes-dans-un-laboratoire-de-recherche-qui-est-responsable-et-que-peut-on-y-faireendisturbing-laboratory-practices-who-is-responsible-and-what-can-be-done/>

(17.1) (17.2) (17.3) (17.4) « Les alternatives aux expériences sur les animaux », PETA France, s.d., en ligne : <https://www.petafrance.com/nos-campagnes/experimentation/les-alternatives-aux-experiences-sur-les-animaux/>

(18) « Tests sur animaux lors d’expérimentations médicales », PETA France, s.d., en ligne : <https://www.petafrance.com/nos-campagnes/experimentation/tests-sur-animaux-lors-dexperimentations-medicales/>


Image: https://www.pinterest.ca/pin/387309636720177495/

bottom of page