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720 494 solitudes* : Quand va-t-on prendre
l’enjeu de la santé mentale au sérieux ?

Auteur·e·s

Florence Claveau-Roy

Publié le :

2 octobre 2022

Je n’ai plus de médecin de famille.

Cet été, j’ai ressenti le besoin de consulter un médecin pour plusieurs raisons.

J’ai donc appelé le Guichet d’accès à un médecin de famille (GAMF).


Après au moins quinze répétitions de la même toune kitch entrecoupée par les fritures de la ligne téléphonique, un employé du GAMF m’a répondu. Il m’a demandé pour quelle raison je souhaitais consulter un·e médecin. Je lui ai répondu que cela faisait trois ans que j’avais consulté et que je trouvais qu’il était temps de faire un bilan sur mon état de santé. Il m’a répondu que, d’après mon groupe d’âge, il fallait absolument que j’aie un problème de santé à régler pour obtenir un rendez-vous médical.

Quand une étude révèle que plus d’un·e étudiant·e sur deux au Cégep ou à l'Université éprouve des symptômes d’anxiété et de dépression et que l’on m’apprend qu’il n’y a plus de suivis en médecine familiale pour mon groupe d’âge à moins d’un problème de santé connu, je trouve qu’il y a un non-sens.

J’ai donc poursuivi l’interrogatoire en disant que j’avais effectivement des problèmes de santé qui m’inquiétaient. Il m’a demandé d’en choisir un, le plus urgent. Le médecin décidera s’il veut écouter le reste. J’ai choisi le mal de ventre qui m’empêchait de manger. 


Je me suis présentée à la clinique. Après un temps d’attente assez raisonnable, je suis passée au premier tri. Une infirmière qui ne m’a jamais regardée dans les yeux m’a posé des questions et a retranscrit mes réponses sur son clavier. Pourquoi je consulte ? Depuis quand ça dure ? Sur une échelle de 1 à 10, quel est le niveau de douleur ? Elle a pris mes signes vitaux et est partie comme elle était venue. 


La médecin est arrivée. Elle a lu ce que l’infirmière venait d’écrire en me posant des questions rapidement. Elle m’a finalement auscultée. Le pronostic ? Il n’y a rien d’alarmant. Elle m’a suggéré de revenir dans huit semaines si ma condition se détériorait. Est-ce que c’est bon ? J’ai pensé aux autres choses dont j’aurais aimé parler. J’ai préféré me taire tant j’ai senti qu’elle avait d’autres chats à fouetter. J’ai presque eu envie de m’excuser de lui avoir fait perdre son temps. Je l’ai simplement remerciée avant de quitter la salle.


Dès que j’ai mis le pied hors de la clinique, j’ai regretté de ne pas avoir insisté sur mes autres motifs de consultation. Un motif en particulier. Ma santé mentale. Qui n’est pas une urgence. Qui n’est pas encore un problème de santé incapacitant. Mais qui me fait voir la vie en gris, qui m’isole des autres. J’aurais voulu en parler.


Plus d’études que pour le 3e lien

Avec le recul, je ne me remets pas de ce que mon interlocuteur au Guichet d’accès à un médecin de famille m’a appris : il n’y a pas de suivi en médecine familiale pour les 18-24 ans. Pendant ce temps-là, je pense aux jeunes adultes autour de moi. Ces derniers temps, j’ai entendu et observé la souffrance psychologique de mes ami·e·s et de mes pairs.  


Déjà avant la pandémie, on sonnait la cloche d’alarme sur le taux d’anxiété des jeunes. Le magazine L’Actualité, en mai 2017, citait une étude de l’Université de Toronto qui relevait que plus du tiers d’entre eux et elles souffrait de détresse psychologique liée à l’anxiété. [1] Or, on sait que le taux de troubles d’anxiété et de dépression a augmenté au fil des vagues de COVID-19 au Québec, en particulier chez les jeunes de 18-24 ans. En janvier 2022, une enquête menée par l’Université de Sherbrooke révélait que 58% des cégépien·ne·s et des universitaires rapportaient des symptômes liés à des troubles d’anxiété et de dépression. [2] Neuf mois plus tard, même si le contexte sanitaire a changé, il serait présomptueux de supposer que le problème a disparu. Parce qu’un trouble psychologique ne s’estompe pas aussi facilement qu’une restriction sur le port du masque à l’aube d’une campagne électorale. 


Arrêtons d’éteindre des feux

Parallèlement à cette hausse des cas de troubles anxieux et de dépression, les expert·e·s en matière de santé mentale déplorent depuis des années les lacunes du système public. En décembre 2019, Emmanuelle Bernheim et Pierre Pariseau-Legault insistaient, dans les pages du Devoir, sur la nécessité de créer une Commission d’enquête sur les soins en santé mentale. Il et elle y soulignaient le manque d’accessibilité des services psychologiques et dénonçaient la méthode « gestion de crise » adoptée par le système de santé québécois pour traiter les troubles psychologiques. Cette méthode consiste à éteindre les feux, à sélectionner les cas les plus graves et à abandonner les autres. [3] Plus récemment, Dre Karine Gauthier, psychologue et neuropsychologue, présidente de la Coalition des psychologues du réseau public québécois, multiplie les lettres ouvertes dans les journaux québécois afin de militer pour l’amélioration de l'accessibilité des soins psychologiques dans le réseau public. Cette amélioration semble passer par l’augmentation du nombre de psychologues dans le réseau public, augmentation qui passe par une meilleure reconnaissance du travail de ceux et celles-ci[4]. Dans la même lignée, Dre Christine Groux, psychologue et présidente de l’Ordre des psychologues du Québec, rappelle qu’il est nécessaire d’augmenter le salaire des psychologues du réseau public pour pallier le manque de main-d'œuvre. Devant les statistiques inquiétantes sur les troubles d’anxiété et de dépression obtenues au Québec dans les deux dernières années, elle énonce son souhait que la santé mentale devienne un réel enjeu de santé publique[5]. 


Campagne d’insignifiance  

Au moment d'écrire ce texte, très peu de place semble avoir été accordée à l’enjeu de la santé mentale lors de la campagne électorale provinciale 2022. Même quand on en parle, le sujet ne semble pas être pris au sérieux comme il devrait l’être. Je pense notamment à l’intervention de Dominique Anglade lors du Face-à-face de TVA, qui a dévié la question de Pierre Bruneau sur la santé mentale en attaquant Québec solidaire sur l’argent que le parti gaspille pour l’indépendance du Québec. 


Devant les études scientifiques démontrant l’étendue et la gravité des problèmes de santé mentale, devant les nombreux témoignages d’intervenant·e·s sur l’inefficacité du système de santé publique en matière de santé mentale, j’ai de la difficulté à m’expliquer pourquoi cette grande solitude n’est pas traitée avec plus de profondeur dans le discours public. 


Pour ce qui est des plateformes, la qualité des engagements pris en matière de santé mentale fluctue d’un parti à l’autre. Le Parti conservateur du Québec suggère la possibilité d’organiser un sommet sur la santé mentale des jeunes dans les 100 premiers jours de son mandat. La Coalition Avenir Québec, quant à elle, veut mieux orienter les jeunes, créer des partenariats avec les organismes communautaires et offrir des services de proximité. Ces engagements me paraissent trop peu concrets pour amorcer un réel changement. Ils ne répondent pas aux demandes des intervenant·e·s. Les idées du Parti libéral, comme l’instauration d’un programme public de psychothérapie, l’utilisation des CLSC, le financement des organismes communautaires et le déploiement d’un plan d’urgence de sensibilisation, s’approchent davantage des demandes des psychologues du réseau. Il n’en demeure pas moins que seuls le Parti québécois et Québec solidaire répondent directement aux cris du cœur des expert·e·s. Ce sont les seuls partis qui veulent rendre les services de psychothérapie gratuits et augmenter le salaire des psychologues du réseau public. Mention spéciale à Québec solidaire qui met des chiffres sur ces augmentations : un ajout de 900 psychologues dans le réseau public et une augmentation de 30% de leur salaire. C’est ce genre de mesures concrètes qui témoigne d’une réelle compréhension de l’importance de la crise et d’une volonté d’y mettre fin. 


En parler

À mon sens, l’enjeu de la santé mentale mérite une plus grande place dans cette campagne électorale. Quand une étude révèle que plus d’un·e étudiant·e sur deux au Cégep ou à l'Université éprouve des symptômes d’anxiété et de dépression et que l’on m’apprend qu’il n’y a plus de suivis en médecine familiale pour mon groupe d’âge à moins d’un problème de santé connu, je trouve qu’il y a un non-sens. Il faut en parler. Quand les délais d’attente pour la consultation d'un·e psychologue dans le système public varient entre 6 à 24 mois et que le contexte économique plonge une grande partie de la population étudiante dans la précarité financière, ils et elles sont des milliers à se sentir seul·e·s au monde [6]. Il faut en parler. 


Il faut considérer la santé mentale comme un enjeu de santé publique. 

Il faut que les services psychologiques pour les personnes en situation de précarité financière soient gratuits. 

Il faut augmenter le salaire des psychologues dans le réseau public. 

Il faut augmenter le nombre de psychologues dans le réseau public. 


Parlons-en. Cette fois-ci, je n’ai pas envie de me taire. 


*Ce chiffre représente approximativement le nombre de jeunes adultes souffrant de symptômes de troubles anxieux et dépressifs au Québec. Il représente 58%, donnée obtenue par la Dre Généreux lors de son enquête, du nombre de Québécois·e·s âgé·e·s de 18 à 29 ans en date du 1er juillet 2020 d’après les données de Statistique Canada. 


Besoin de soutien psychologique ? 

  • Prendre rendez-vous au PADUM en écrivant un message privé sur Facebook ou à l’adresse courriel padum.udem@gmail.com 

  • Centre de santé et de consultation psychologique : sante@sae.umontreal.ca - 514 343-6452 

  • Pour trouver un psychologue en cabinet privé : https://www.ordrepsy.qc.ca/trouver-de-aide 

  • Suicide Action Montréal : 1 866-277-3553

  • Centre de crise Tracom (Montréal) : 514 483-3033

  • Tel-Écoute : 514 493-4484

  • Tel-Aide : 514 935-1101


Sources citées :


(1) Chloé Machillot, « Le nouveau mal des ados », L’actualité, 24 mai 2017,

https://lactualite.com/societe/le-nouveau-mal-des-ados/


(2) Mélissa Généreux, « Faits saillants et pistes de solution - Enquête menée par l’Université de Sherbrooke et le CIUSSS de l’Estrie – CHUS sur la santé psychologique des 12 à 25 ans », 2022, https://www.usherbrooke.ca/gnec/pj/faits_saillants_recommandations_jeunes_udes.pdf


(3) Emmanuelle Bernheim et Pierre Pariseau-Legault, Pour une commission d’enquête sur les soins en santé mentale, Le Devoir, 3 décembre 2019.


(4) Karine Gauthier, « Il est temps d’investir en santé mentale », La Presse, 6 janvier 2022 ; Karine Gauthier, « Des solutions insuffisantes en santé mentale », Le Devoir, 21 avril 2022 ; Karine Gauthier, « L’accessibilité doit être abordée », La Presse, 27 août 2022.


(5) Radio-Canada, 2022, « Santé mentale au Québec : entrevue avec Christine Grou », Le téléjournal 18h avec Patrice Roy, https://www.youtube.com/watch?v=srmb0o_N3d8


(6) Karine Gauthier, « Il est temps d’investir en santé mentale ».

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