Piégés dans le passé : pour une abolition du piégeage
Auteur·e·s
Émilie Girouard
Publié le :
19 avril 2023
En tant que société, nous sommes souvent attaché⋅e⋅s à nos traditions et nos pratiques, car ce sont elles qui traduisent notre culture. Toutefois, au fur et à mesure que notre société évolue, ces dernières doivent suivre le mouvement. Certaines pratiques ne peuvent se justifier dans le contexte d’une société moderne. Elles ne tiennent plus qu’à un fil, soit la justification qu’elles sont établies depuis fort longtemps. Le problème dans cette façon de penser est que si nous l’acceptons, nous n’avancerons pas. Nous resterons dans une société figée. Nous devons nous questionner, nous positionner et nous activer. Il est temps de mettre fin aux pratiques archaïques, car nous ne pouvons rester piégé⋅e⋅s dans le passé pour toujours. L’une d’entre elles est le piégeage commercial et récréatif au Québec.
« Une fois coincés dans les pièges, les animaux peuvent mourir d’épuisement, d’hypothermie, de faim, de déshydratation, de choc, de noyade, de blessure ou de perte de sang. [...] Fréquemment, les animaux pris dans des pièges essaient de se ronger ou de se tordre les membres dans une tentative désespérée de se libérer. »
Le piégeage : Une pratique supposément « humaine »
Chaque année au Québec, des milliers d’animaux sont piégés et tués de manière cruelle pour leur fourrure à l’aide de mécanismes inhumains qui infligent de grandes souffrances. On remarque par exemple l’utilisation de collets en fil de fer, de pièges à mâchoires d’acier, de pièges à pattes, de pièges en X de type Conibear, etc. Les animaux principalement visés sont les coyotes, les lynx, les renards, les castors, les ratons laveurs, les rats musqués et les martres. Cependant, la triste réalité est que la majorité des animaux qui sont victimes des pièges ne sont pas ceux auxquels ils étaient destinés. Les trappeur⋅euse⋅s les appellent des « trash animals » : ce peut être des chiens, des chats, des cerfs, des oiseaux et d'autres animaux, y compris ceux menacés et en voie de disparition. De plus, comme les pièges sont souvent dissimulés, ils présentent également des risques pour les animaux de compagnie qui sont promenés en forêt, et même pour les enfants curieux qui explorent les environs.
Une fois coincés dans les pièges, les animaux peuvent mourir d’épuisement, d’hypothermie, de faim, de déshydratation, de choc, de noyade, de blessure ou de perte de sang. Les collets en fil de fer peuvent également écraser des organes ou étrangler lentement un animal jusqu'à sa mort. Les pièges à mâchoires peuvent, pour leur part, coincer les animaux sous l'eau jusqu'à ce qu'ils se noient. Fréquemment, les animaux pris dans des pièges essaient de se ronger ou de se tordre les membres dans une tentative désespérée de se libérer. Voici la réalité du piégeage : une pratique tout simplement cruelle causant douleurs, blessures et détresse extrêmes (1). Il est donc impératif de nous questionner sur l'éthique de cette pratique. Comment une pratique aussi cruelle, dangereuse et douloureuse peut-elle encore être considérée acceptable pour les animaux? En faisant usage de réflexion critique, nous réalisons bien rapidement que cette pratique est dépassée et inutile dans notre société.
Un argument souvent invoqué en faveur du piégeage est la protection des pratiques culturelles des Premières Nations. En effet, certain⋅e⋅s affirment qu’elle est essentielle à l’économie de certaines communautés autochtones, qu’elle fait partie de leurs pratiques ancestrales. Bien évidemment, ce n’est pas ce qui est visé ici. Il est important de distinguer les pratiques de piégeage commerciales et récréatives des activités de subsistance qui sont exercées depuis des millénaires par les communautés autochtones. Il ne s’agit pas du tout de la même tradition, ces dernières étant pratiquées dans une vision à l’opposé de celle des trappeur·euse⋅s pratiquant dans une visée commerciale et récréative. Les communautés autochtones adoptent une vision intrinsèquement antispéciste et écocentrique du monde, visant à préserver l'harmonie avec la nature en exploitant consciemment les ressources naturelles par nécessité uniquement (2). Le problème est que, souvent, ce message est utilisé par des entreprises, des organismes comme la Fédération des Trappeurs Gestionnaires du Québec ou des personnes ne faisant pas partie de ces communautés et semble plutôt être une façade pour justifier des pratiques commerciales cruelles qui n’ont rien à voir avec les pratiques culturelles des communautés autochtones.
Une législation lacunaire
Considérant l’ancienneté de cette pratique, les lois régissant le piégeage au Québec et au Canada sont plutôt faibles. Non seulement la législation manque d’encadrement pour s’assurer de la sécurité des animaux et du public, mais elle manque également de surveillance et de coercition. Il n’y a rien qui empêche les trappeur·euse⋅s de placer des pièges sur les terres publiques ou près de maisons, ni aucune obligation de signaler l’emplacement de ceux-ci. Il n’y a pas non plus de mécanismes qui obligent les trappeur·euse⋅s à vérifier leurs pièges; des animaux peuvent donc s’y prendre et agoniser pendant des jours. Le manque de cohérence est à son comble, puisque même si un permis est nécessaire pour pratiquer le piégeage, celui-ci n’est pas requis pour acheter un piège. Il est alors presque impossible pour les agent·e⋅s de la protection de la faune de garder un contrôle étroit, puisqu’ils/elles ne savent pas où sont les pièges et à qui ils appartiennent. Nous pouvons donc voir que malgré la réglementation en vigueur, sa mise en application semble comporter plusieurs lacunes, ce qui la rend inefficace et dérisoire (3).
Une industrie déficitaire
Selon le Conference Board du Canada, il y aurait eu, en 2018, 7 319 trappeur·euse⋅s au Québec. Ce secteur est loin d’être lucratif dans la province, car avec des dépenses de 13M$ en 2018, et rapportant un PIB de 10M$, l’industrie engendre plus de coûts qu’elle ne génère de bénéfices, en plus de ne créer que 91 emplois (4).
Aussi, il est important de mentionner que la fourrure n’est plus autant importante qu’avant et nous pouvons voir un déclin dans son commerce. Même la compagnie Canada Goose a arrêté de s’approvisionner en nouvelle fourrure de coyote pour ses vestes en 2020 (5). Les pratiques du piégeage pour la fourrure et du piégeage récréatif sont donc en voie de disparition dans notre société. Il s’impose alors de se demander si nous pouvons encore justifier la nécessité d’une telle pratique.
Un objectif possible
Cette lutte n’est pas impossible. Plus de 100 pays ont déjà interdit l’utilisation des pièges à mâchoires en acier en raison de la souffrance et de la douleur extrême qu'ils causent aux animaux : « l'Union européenne a interdit à la fois l'utilisation du piège et l'importation de fourrures en provenance de pays qui capturent [des animaux sauvages] au moyen de pièges à mâchoires ou de méthodes de piégeage qui ne respectent pas les normes internationales de piégeage sans cruauté » (6). Le Québec, pour sa part, interdit les pièges à mâchoires contenant des dentures, mais autorise encore des pièges coussinés utilisant la même mécanique de rétention de la patte de l’animal. D’autres régions vont plus loin encore : Winnipeg a aboli les trappes; l’Arizona et le Colorado ont restreint leur utilisation à certaines trappes et à certains moments de l’année; puis, dix autres états américains ont banni la vente des trappes qui retenaient les pattes des animaux (7). Le modèle à suivre est toutefois celui de la Californie. En 2019, elle a interdit le piégeage commercial ou récréatif sur les terres publiques et privées, soutenant qu’il était temps de mettre fin au piégeage des fourrures, car selon la députée Lorena Gonzalez, cette pratique est particulièrement cruelle, inutile et coûteuse (8). Qu’attendons-nous pour suivre ces exemples?
Conclusion
Le changement social provient la majorité du temps d’une critique des mœurs de la société dans les mouvements citoyens. Il est nécessaire, voire même primordial, de remettre en question les pratiques établies pour faire évoluer la société. Il est dans notre devoir de citoyen·ne⋅s de réfléchir à l’avenir de notre société et de la faire avancer en critiquant les pratiques qui n’ont plus leur place aujourd’hui. Nous devons apprendre à faire la différence entre être attaché⋅e⋅s à nos traditions et perpétuer une pratique archaïque et inhumaine dans une société moderne qui est supposée respecter les animaux. Il n’y a plus d’excuses pour légitimer le piégeage : il s’agit de cruauté animale non nécessaire, ce qui contrevient à nos principes législatifs et à toute notion de moralité.
Parfois, il est nécessaire d’adopter des mesures plus agressives pour protéger les animaux et la faune, même si celles-ci menacent les traditions séculaires. « La sécurité des citoyens, de leurs enfants, de même que celle des animaux domestiques et sauvages, est un enjeu beaucoup plus important » (9) que de conserver une pratique cruelle et violente pour le simple plaisir de quelques trappeur·euse⋅s. Il est maintenant temps d’y mettre fin. Si vous voulez contribuer au changement, voici le lien de la pétition lancée par Frédéric Bérard et le FEDJA : https://chng.it/yH6g6NVBz4.
Sources citées :
(1) ANIMAL JUSTICE. « Chasse et piégeage », 2023, https://animaljustice.ca/issues/hunting-and-trapping.
(2) Id.
(3) GOUVERNEMENT DU QUÉBEC. Piégeage, 2023, https://www.quebec.ca/tourisme-et-loisirs/activites-sportives-et-de-plein-air/piegeage.
(4) LE CONFERENCE BOARD DU CANADA. « L’empreinte économique de la pêche de la chasse, du piégeage et du tir sportif au Canada », 2019, https://www.ofah.org/wp-content/uploads/2019/09/ECONOMIC-Footprint-of-angling-FR-final.pdf.
(5) SAGAN, Aleksandra. « Canada Goose to drop wild coyote product use in parkas; shift to reclaimed fur », Global News, 2020, https://globalnews.ca/news/6855078/canada-goose-reclaimed-fur-coyote-product/.
(6) PETA. « Inside the Fur Industry: Trapping Maims and Kills Animals », 2023, https://www.peta.org/issues/animals-used-for-clothing/animals-used-clothing-factsheets/inside-fur-industry-trapping-maims-kills-animals/?fbclid=IwAR3cbU3bWJ-mOsQWhieFTsuE5iIKfHPnzeYT17_l4qNcLiT1n85xSi2xibU.
(7) RUSSEL, Matthew. « Foot-hold and leg-hold Traps now banned in 10 U.S. States », The animal rescue site news, https://blog.theanimalrescuesite.greatergood.com/inhumane-trapping/.
(8) SAHAGÙN, Louis et Phil WILLON. « California becomes first state to ban fur trapping after Gov. Newson signs law », Los Angeles Times, 2019, https://www.latimes.com/california/story/2019-09-04/fur-trapping-ban-california-law?fbclid=IwAR1RhrKTMYl5ygj6faPXXO4F0RjZrMBp0GS9qrUEz6sO60K8E41lTUJVXuM.
(9) DEVINE, Me Alanna et Dr Jean Jacques KONA-BOUN. « Trappage : un chien frôle la mort à Carignan », Le Journal de Chambly », 2016, https://www.journaldechambly.com/trappage-un-chien-frole-la-mort-a-carignan-2/?fbclid=IwAR1M2G2IIrqLcTf-5wx-VsGPz8T2TmB3of9Q_SWBNGCWyErErphywoOQpkE.