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Étouffer la flambée : gangstérisme et armes à feu à Montréal

Auteur·e·s

Adrien Banville

Publié le :

5 décembre 2022

Nul besoin d’être féru⋅e de droit criminel pour être préoccupé⋅e du crescendo d’homicides par armes à feu observé à Montréal et à Laval depuis les deux dernières années. Nous avons tous et toutes été marqué⋅e⋅s par la mort de Meriem Boundaoui, victime innocente d’un « drive by » qui ne la visait aucunement en février 2021, ou du jeune Thomas Trudel, assassiné froidement dans un parc de Saint-Michel en novembre 2021, pour ne nommer que ceux-ci. Bien que Montréal demeure une ville sécuritaire, la médiatisation importante des homicides par armes à feu dans la grande région de la métropole mine le sentiment de sécurité des résident⋅e⋅s et provoque les démonstrations de force du SPVM. D’où exactement provient cette violence et quelles sont les solutions mises sur la table par nos législateur⋅trice⋅s?

Bien qu’il envoie un message clair aux juges qui procéderont à l’évaluation des peines imposées aux trafiquant⋅e⋅s, le projet de loi C-21 se voit, sans surprise, critiqué par les chef⋅fe⋅s de police comme n’ayant pas la bonne cible (8), et par les organisations civiles pour le contrôle des armes, telles que PolySeSouvient, qui dénonce son manque d’ambition.

Pendant que le projet de loi C-21 visant à serrer la vis aux trafiquant⋅e⋅s et détenteur⋅trice⋅s d’armes à feu illégales est débattu à la Chambre des communes, le SPVM rapporte un nombre toujours croissant d’infractions liées aux armes de poing (1), de la décharge à l’homicide. Hautement médiatisée à Montréal et à Laval, cette recrudescence des crimes violents commis avec une arme à feu s’expliquerait principalement, dans la zone métropolitaine de Montréal, par un regain d’effervescence des organisations criminelles et gangs de rue (auxquels je ferai désormais référence par les termes « réseaux délinquants » et « gangs criminalisés ») (voir note 2).


Un contrôle effectif chancelant

Tout d’abord, il est important de préciser que Montréal demeure une ville sécuritaire malgré le sommet d’homicides observé depuis les dix dernières années. Ce n’est pas Toronto et encore moins New York en matière de criminalité, bien que la ville ait déjà abrité, par le passé, des conflits majeurs au sein du crime organisé. En effet, les groupes criminalisés de Montréal ont historiquement été bien plus violents qu’aujourd’hui, notamment au cours du conflit opposant les clans mafieux des Siciliens (sous Rizutto) et des Calabrais (sous Vito) dans les années 80 ou, plus récemment, pendant la guerre des motards. C’est d’ailleurs après ce conflit, selon les révélations de l’opération Magot-Mastiff de la Sûreté du Québec en 2015, que les Hells Angels se sont alliés aux Siciliens et ont formé une entité, un « Syndicat », chargé de gérer les réseaux délinquants montréalais (3). 


Selon la criminologue et ancienne députée fédérale d’Ahuntsic Maria Mourani, il semble toutefois que les organisations criminelles aient aujourd’hui perdu le contrôle effectif de ces réseaux délinquants en raison de guerres intestines entre chefs de gangs criminalisés, souvent pour des raisons personnelles, qui dégénèrent fréquemment sur les réseaux sociaux (4). Résultat : drive-by, scoring (tirer de manière indiscriminée dans un repaire adverse pour faire des « points » tout en filmant l’acte), assassinats et autres violences entre des réseaux délinquants et le crime organisé, mais aussi au sein de ceux-ci.


Québec durcit le ton… et lance la balle à Ottawa

Conscient du risque d’escalade et sensible aux préoccupations de la population en matière de sécurité publique, le législateur québécois a pris la menace au sérieux en ensevelissant le problème sous 90M$ d’investissements stratégiques en prévention, contrôle et répression – qu’on intitula bien policièrement « opération Centaure » (5) – l’année dernière. Une nouvelle escouade policière spécialisée, Éclipse, mise sur pied en 2008, a par ailleurs été bonifiée à travers Centaure pour lutter spécifiquement contre la violence par arme à feu en établissant des relations avec les acteur⋅trice⋅s des réseaux criminalisés. Pour sa part, le SPVM a multiplié les démonstrations de force visant à rétablir le sentiment de sécurité dans les secteurs les plus touchés par les fusillades, dont Saint-Léonard, Rivière-des-Prairies, Saint-Michel et Montréal-Nord.


L’autre composante expliquant cette flambée de violence consiste aussi, bien sûr, en l’accessibilité croissante des armes à feu liée à leur trafic et prolifération. Appelé cet été à « [exercer] son leadership sur le contrôle des armes à feu » (6) par le ministre québécois de la Justice, Simon Jolin-Barrette, et à interdire les armes de poing par la mairesse de Montréal, Valérie Plante, le gouvernement fédéral a proposé pour sa part le projet de loi C-21 en mai dernier. Ce dernier raffermit les peines de prison maximales liées au trafic d’armes de 10 à 14 ans et gèle la vente d’armes de poing au Canada (7).


Des mesures répressives, mais quelles solutions?

Bien qu’il envoie un message clair aux juges qui procéderont à l’évaluation des peines imposées aux trafiquant⋅e⋅s, le projet de loi C-21 se voit, sans surprise, critiqué par les chef⋅fe⋅s de police comme n’ayant pas la bonne cible (8), et par les organisations civiles pour le contrôle des armes, telles que PolySeSouvient, qui dénonce son manque d’ambition.


D’une part, le projet de loi n’adresse pas la provenance des armes illégales, lesquelles sont importées en très grande partie des États-Unis, souvent en pièces détachées assemblées une fois entrées au pays à partir de matériaux imprimés. Ces armes fantômes constituent de véritables casse-têtes pour les enquêteur⋅euse⋅s.

D’autre part, dans son mémoire soumis au Comité permanent de la sécurité publique et nationale en octobre dernier, PolySeSouvient soulève que « la plupart des armes saisies par la police ont été achetées au Canada, et la plupart des crimes commis avec des armes à feu ne sont pas liés aux gangs » (9) au niveau du Canada dans son ensemble. Si ce n’est pas une tendance visible à Montréal, l’organisme pose toutefois le doigt sur la difficulté de légiférer au niveau fédéral sur un contrôle « palliatif » des armes à feu adapté à la grandeur du pays.


En outre, l’approche visant à réprimer les crimes violents commis par arme à feu en augmentant les effectifs policiers dans les rues de Montréal comporte aussi des risques importants d’accentuation des tensions sociales, de la discrimination et de la victimisation, en plus d’être coûteuse sans nécessairement être efficace (10). Ce type de réaction, écartant les solutions de dissuasion par l’épanouissement communautaire, admet l’échec de nos politiques face aux premières victimes des réseaux délinquants : leurs recrues, ces jeunes en situation de vulnérabilité qui évoluent, dans la peur, au sein d’un écosystème social criminalisé.

Sources citées :


(1) MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE, Direction des politiques publiques, de la recherche et des statistiques. Données concernant la violence par armes à feu dans la région de Montréal de septembre 2020 à septembre 2021. (2022) En Ligne : <https://www.securitepublique.gouv.qc.ca/fileadmin/Documents/ministere/diffusion/documents_transmis_acces/2022/2021-13650.pdf>


(2) Le terme « gangs de rue » est débattu en raison de sa connotation historiquement rattachée à des groupes de jeunes, souvent issu⋅e⋅s de l’immigration, qui ne se livraient pas nécessairement à des activités criminelles, mais se rassemblaient en « gangs » dans le simple but premier de socialiser. Ils auraient été souvent la cible d’interpellation arbitraire et des suspicions infondées des forces policières. Ainsi, le terme non-discriminatoire « réseaux délinquants » réfère à un groupe s’adonnant par définition à des actes criminels.

Sylvie HAMEL et René-André BRISEBOIS, (En)quête de criminologie épisode 4 : Jeunes et gangs de rue, 16 décembre 2020. Centre international de criminologie comparée. 25:44 min. En ligne : <https://www.cicc-iccc.org/fr/balados/enquete-de-criminologie-balado/episode-4-jeunes-et-gangs-de-rue>


(3) Daniel RENAUD, « Relève de la garde au sein du crime organisé », La Presse, 11 juillet 2021, en ligne : <https://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-faits-divers/2021-07-11/releve-de-la-garde-au-sein-du-crime-organise.php>


(4) Maria MOURANI, « État de la situation : Gangs de rue et armes à feu », Le Beccaria, décembre 2021, vol. n° 04 p.49-53, En ligne : <https://ordrecrim.ca/membres/ordre/le-beccaria/#flipbook-df_11629/1/>


(5) CABINET DE LA VICE-PREMIÈRE MINISTRE ET MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE, « Opération Centaure - Plus de 90 M$ pour lutter contre la violence liée aux armes à feu », 24 septembre 2021. via Cision (CNW Telbec), En ligne : < https://www.newswire.ca/fr/news-releases/operation-centaure-plus-de-90-m-pour-lutter-contre-la-violence-liee-aux-armes-a-feu-826500346.html>


(6) Jeanne CORRIVEAU, « Valérie Plante lance un nouvel appel pour le contrôle des armes de poing », Le Devoir, 26 mai 2022, En ligne : <https://www.ledevoir.com/politique/montreal/715125/valerie-plante-lance-un-nouvel-appel-pour-le-controle-des-armes-de-poing>


(7) SÉCURITÉ PUBLIQUE CANADA, Une stratégie détaillée pour contrer la violence liée aux armes à feu et resserrer les lois sur les armes au Canada : projet de loi C-21, Loi modifiant certaines lois et d'autres textes en conséquence (armes à feu), 2022, En ligne : <https://www.securitepublique.gc.ca/cnt/cntrng-crm/frrms/c21-fr.aspx>


(8) Michel SABA, « Le projet de loi C-21 rate la cible, disent les policiers », La Presse, 27 octobre 2022. En ligne : <https://www.lapresse.ca/actualites/2022-10-27/armes-de-poing/le-projet-de-loi-c-21-rate-la-cible-disent-les-policiers.php>


(9) POLYSESOUVIENT, PROJET DE LOI C-21 Loi modifiant certaines lois et d’autres textes en conséquence (armes à feu), mémoire présenté au Comité permanent de la sécurité publique nationale, 2022, p.5


(10) Yanick CHARETTE, « État de la situation : Gangs de rue et armes à feu », Le Beccaria, décembre 2021, vol. n° 04 p.24-27, En ligne : <https://ordrecrim.ca/membres/ordre/le-beccaria/#flipbook-df_11629/1/>


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