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Émergence

Auteur·e·s

Thomas Doré

Publié le :

13 septembre 2021

Certaines espèces d’insectes, comme les abeilles, les fourmis ou les termites, vivent rassemblées en colonie. Elles y observent un mode de vie structuré, et tirent avantage de leurs interactions sociales; ce sont les insectes sociaux.

De nos innombrables échanges avec étudiant·e·s, professeur·e·s et autres employé·e·s, émerge une expérience étudiante plus grande encore que la tour du pavillon Roger-Gaudry.

D’aucuns prétendent que ces insectes sociaux font preuve d’une certaine intelligence collective, c’est-à-dire que la colonie a une plus grande capacité de résolution de problèmes lorsque les individus qui la composent coopèrent que lorsqu’ils travaillent seuls.


Une fourmi, par exemple, ne peut, quand elle agit seule, assurer sa propre défense, encore moins celle de la colonie. Toutefois, elle peut, en adoptant certains comportements spécifiques, participer à l’effort collectif de défense de la fourmilière.


Le termite, quant à lui, en étant plus enclin à larguer son chargement de boue à un endroit où il y a déjà un amoncellement, contribue à la formation de la termitière, une structure immense qui serait impossible pour notre chétif termite de construire seul.


L’apparition d’une propriété « collective » nouvelle, qui ne peut être réduite à la somme des propriétés des structures qui composent l’ensemble, se nomme l’émergence. Phénomène philosophique ou scientifique, s’il en est un, l’émergence prend diverses formes et ne s’observe certainement pas seulement dans les comportements des colonies d’insectes sociaux.


Des propriétés nouvelles, émergentes, jaillissent également de nombreux objets inanimés. John Stuart Mill observe que, des propriétés de l’oxygène et de l’hydrogène, émergent celles de l’eau. Plus récemment, l’on a postulé que la fonction enzymatique émerge de l’assemblage des acides aminés et du repliement des protéines.


L’on peut s’intéresser aux phénomènes émergents du point de vue sociologique. Certain·e·s prétendent en effet que nos institutions, pour ne nommer que celles-là, émergeraient des interactions sociales humaines. Plus encore, en étant conscient de l’émergence par le biais de ses observations et de sa capacité de raisonnement, l’humain aurait la possibilité d’agir directement sur celle-ci et d’en influencer l’occurrence.


Ainsi, les questionnements philosophiques ne seraient-ils donc pas le destin de l’humain qui, grâce à sa conscience, elle-même propriété émergente de l’activité neuronale de son cerveau, se rend compte de son existence et de celle du phénomène qui en est à l’origine, pour ensuite tenter d’en influencer le cours? Ou devrais-je plutôt retourner dans la caverne de mon quotidien estival oisif et sans réflexion avant qu’il ne soit trop tard?


J’en appelle au calme de l’auteur, et vous prie de pardonner ses choix éditoriaux; l’émergence est un sujet dont il est fascinant de s’enquérir et, surtout, de faire découvrir à un lectorat imaginaire. Une gorgée d’eau suffira sans doute à apaiser les ardeurs de l’auteur, qui devrait dorénavant s’en tenir aux insectes sociaux afin de ne pas trop s’emballer.


***


Onze août deux mille vingt et un. Le campus est désert. De la fontaine où je me suis abreuvé jaillit une eau au goût métallique, ses conduits  rouillés  par le congé estival et la pandémie. Assis seul dans la bibliothèque de la Faculté, à un espace de travail que j’ai réservé sans jamais toutefois confirmer mon arrivée, j’observe les alentours.


D’une part, d’innombrables volumes sommeillent dans les rayons qui s’enchaînent sévèrement au rythme de leur cote alphanumérique, rappelant une époque révolue où les étudiants en droit ne connaissaient pas encore les délices de la recherche juridique en ligne.


D’autre part, le soleil caniculaire rôtit les pelouses jaunies du cimetière Notre-Dame-des-Neiges. Une abeille fonce dans la fenêtre, n’ayant manifestement pas saisi la nuance entre transparence d’une surface et absence de celle-ci. Elle veut entrer.


Peut-être l’abeille souhaite-t-elle aller rejoindre sa colonie dans les rayons sévères de la bibliothèque qui, bien qu’ils soient dépourvus d’insectes piqueurs de son espèce, avaient effectivement, à une certaine époque pas si lointaine mais que je n’ai jamais connue, la réputation d’être des lieux bourdonnants où il fait bon de retrouver les siens.


L’abeille ne peut entrer. Elle rebrousse chemin, résignée. Une bonne affaire : trouver les rayons de la bibliothèque complètement vides l’aurait attristée davantage que de ne simplement pas pouvoir y mettre les pattes. Croyez-moi.


***


Nous, les étudiant·e·s, fourmillons mieux que quiconque, et pas que dans les rayons anachroniques de notre bonne vieille bibliothèque. Dans les salles de classe, dans les cafés et dans les mille corridors des pavillons du campus, nous grouillons et nous bourdonnons. Cette fourmilière bien à nous, aussi virtuelle soit-elle, vaut la peine que nous la défendions et que nous la célébrions collectivement.


De nos innombrables échanges avec étudiant·e·s, professeur·e·s et autres employé·e·s, émerge une expérience étudiante plus grande encore que la tour du pavillon Roger-Gaudry. De nos réflexions, de nos essais et de nos apprentissages, émerge un savoir qui sera un jour de notre devoir de partager.


Nos comportements, même les plus erratiques, chaotiques ou apparemment insignifiants, ne sont jamais aléatoires. Les efforts que nous mettons dans toutes les facettes de nos études ne sont jamais vains. Nos questions connes ne le sont pas non plus; tout engagement auprès de la Faculté contribue à enrichir l’expérience étudiante de ceux et celles qui ont le privilège d’y participer.


Cette année, je nous souhaite de passer par-dessus les idées reçues sur notre faculté. D’envisager les études en droit avec toute la grandeur qui leur revient, mais de rester authentique et de garder l’esprit ouvert en y prenant part. De rester à l’écoute de l’autre, dont les émotions sont valides et l’expérience bien différente de la nôtre. De nous rendre compte de notre privilège de même pouvoir étudier à la Faculté de droit, dont l’admission est assez exclusive et injuste. D’arrêter de nous prendre autant au sérieux, pour l’amour du bon Dieu.


Cette année, je propose qu’on apprenne à se connaître et qu’on aille jouer aux avocat·e·s à Jean-Brillant. À bas le cynisme, mesdames et messieurs. Ensemble, on va vivre quelque chose de grand.

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