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Ça pourrait aller mieux

Auteur·e·s

Judith Morin

Publié le :

1 août 2020

Jeudi 12 mars

Je reçois un courriel de l’Université. Dans celui-ci, on m’assure que « depuis plusieurs semaines, la direction de l’Université suit de très près l’évolution de l’épidémie mondiale du coronavirus ». On m’informe aussi, après avoir déjà passé 4 jours en classe en compagnie de mes collègues, que, puisque je reviens de voyage, je dois me mettre en isolement volontaire pour les deux prochaines semaines. On aura déjà vu mieux comme préparation.


Vendredi 13 mars


Coup de théâtre. Tous les cours sont suspendus, jusqu’à nouvel ordre. Je comprends, ça me semble être la bonne décision. Mais maintenant, what’s next? Pour une institution qui se dit préparée, j’ai bien hâte de voir ce qui m’attend comme mesures novatrices pour finir ma session. Dans cette communication, l’Université nous rappelle sa mission première : « former [les] étudiants et étudiantes, les accompagner jusqu’à l’obtention du diplôme et contribuer à l’avancement du savoir ». Cute. On y reviendra.


Jeudi 19 mars


On nous annonce que les activités d’enseignement pourront reprendre à distance. La Faculté de droit renchérit en nous expliquant les procédures. En gros, les professeurs peuvent soit déposer directement leurs notes de cours ou des enregistrements audio ou vidéo sur Studium, soit donner des séances magistrales sur la plateforme Zoom. Débrouillez-vous avec ça.


La fin de session


Je n’ai pas besoin de le répéter ici, vous l’avez tous vécu cette fin de session qui s’est conclue en queue de poisson. Les professeurs qui n’ont pas les ressources, l’appui et/ou les connaissances nécessaires pour maintenir, à pas mal plus de deux mètres de distance, la qualité d’enseignement tant vantée par l’UdeM. Le stress occasionné par des évaluations qui portent sur de la matière assimilée essentiellement en lisant les notes de cours de mes professeurs. En fermant mon ordinateur après l’examen qui concluait ma première année du baccalauréat en droit, je me suis dit : plus jamais. Les cours en ligne, ce n’est pas pour moi. Au moins, c’est fini.


Mardi 12 mai


Surprise ! On n’en a pas fini avec les cours à distance. Sur un gros fond d’enthousiasme simulé, l’Université nous annonce, comme si c’était une bonne nouvelle, que tout enseignement qui peut se faire à distance devra se faire à distance à la session d’automne. Hourra !


Les prochaines communications me font presque rire. Mention spéciale pour celle intitulée « Un automne dynamique à l’UdeM ! ». J’y apprends que la priorité de mon établissement est désormais d’assurer la santé et la sécurité de sa communauté, même si ça se fait aux dépens de leur précédente mission. J’ai l’impression qu’on me prend pour une idiote.


« Nous vous accueillerons à bras ouverts… même si ce sera sans doute à au moins deux mètres de distance ! ». Voyons donc. Ne me méprenez pas, je comprends l’intention derrière toutes ces clowneries. Il faut rester positif, voir le bon côté des choses, #çavabienaller, etc. Je connais la cassette, ça fait trois mois qu’on me matraque de bonnes intentions et de messages d’espoir bien sentis. Malheureusement, l’Université de Montréal semble se conforter dans sa position trop prudente et ferme les yeux sur les inconvénients évidents accompagnant la perspective d’une session entièrement en ligne. Il faut d’abord reconnaitre les problèmes pour les résoudre.

Je ressens même un certain malaise à l’idée que l’administration met en jeu la qualité de notre éducation pour des raisons qui s’apparentent à des causes économiques, camouflées sous le mirage des bonnes intentions.

Risque de décrochage


Dans un sondage effectué à la demande de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU) et de la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants (FCEE), 77 % des étudiants canadiens se disent « inquiets » de leur avenir (1) dû à la pandémie de coronavirus. Encore plus alarmant, 30 % des étudiants envisagent de ne pas s’inscrire dans un programme d’études postsecondaires à l’automne (2). Deux causes principales sont à la source de ce potentiel décrochage scolaire.


Tout d’abord, plusieurs étudiants ont vu leurs plans d’emploi estival perturbés par la pandémie, ce qui les place dans une situation d’incertitude financière. Les coûts associés à des études supérieures représentent un montant important, composé en partie des droits de scolarités de base, qui sont plafonnés par le gouvernement du Québec. À ceux-ci s’ajoutent des frais propres aux universités et aux programmes d’étude. Pour pallier la problématique, la plupart des associations d’étudiants universitaires demandent la réduction des frais afférents, qui peuvent être modulés par les universités. Pour sa part, la FAÉCUM n’a pas encore pris position dans ce débat, et se dit surtout préoccupée par la santé mentale des étudiants(3).


Ensuite, la piètre qualité de l’enseignement en ligne est un poids qui pèse lourd dans la balance des inconvénients d’une inscription aux études à l’automne prochain. Si l’ensemble des étudiants universitaires québécois ne sont pas inscrits à la TÉLUQ, c’est qu’on reconnaît encore des qualités fondamentales à l’enseignement en présentiel, soit la qualité des échanges entre professeurs et étudiant.e.s dans les salles de classe et l’atout qu’est l’expérience sociale sur le campus. Contrairement aux auteurs du cocasse « Manifeste contre le dogmatisme universitaire (4 )» (dont je recommande fortement la lecture, juste pour rigoler), j’accorde valeur et pertinence aux entretiens et débats qui ont lieu en classe, et je suis convaincue que ce sont ceux-ci qui distinguent la simple obtention d’un diplôme d’une véritable éducation.

Je me méfie de la complaisance de l’UdeM face à leur décision d’organiser la session d’automne le plus possible en ligne, une décision qui me semble, soit dit en passant, prématurée. Je ressens même un certain malaise à l’idée que l’administration met en jeu la qualité de notre éducation pour des raisons qui s’apparentent à des causes économiques, camouflées sous le mirage des bonnes intentions. Comme si elle se permettait de renflouer les coffres en chargeant autant de frais aux étudiants et en dépensant peu dans des services qui seront, de toute manière, inaccessibles. L’Université de Sherbrooke reconnaît la pertinence de l’enseignement en présentiel. Conséquemment, elle se prépare à une rentrée adaptée aux recommandations de la Santé publique tout en espérant pouvoir recevoir le plus grand nombre d’étudiant.e.s sur le Campus grâce à des mesures comme le réaménageant des lieux (5). Pour sa part, l’Université de Montréal me donne l’impression d’avoir baissé les bras. Bien que je puisse concevoir les divergences des réalités respectives aux deux universités (gravité de la situation dans la métropole, complexité de respecter les mesures dans les transports en commun, importance de la masse étudiante montréalaise, etc.), la philosophie de l’UdeM est contraire aux indications du Ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, pour qui l’idée d'une session complètement virtuelle n’est pas une option envisageable6.


« Quatre modes d’enseignement pour bien réussir »


Le 17 juin, l’Université nous présente son plan de match. Quatre modes d’enseignement, passant du cours entièrement en ligne (avec évaluations en ligne également) au cours en présentiel, avec deux nouveautés : le cours hybride (séances virtuelles et d’autres en présentiel) et le cours multimodal. Plus de précisions sur ce dernier.

Les cours de type multimodal semblent être la meilleure solution. Non seulement ils permettent la présence sur le campus d’un certain nombre d’étudiants, mais ils reprennent également le modèle classique d’enseignement en présentiel pour les étudiants qui ne peuvent se déplacer. Cela facilite grandement les interactions entre les étudiant.e.s et le professeur, d’autant plus si la séance est diffusée de manière simultanée (formule synchrone), assurant une meilleure communication. Non seulement cette méthode est pratique pour les étudiant.e.s, qui peuvent s’adresser directement à l’enseignant, même à distance, mais ce dernier peut également s’assurer de la bonne compréhension de son groupe. Sans oublier que ça doit être bien plus stimulant que de délivrer un cours avec comme audience un écran rempli de carrés noirs.


À suivre


Malheureusement, j’ai bien l’impression que je vais passer ma rentrée scolaire dans mon salon. Les études en droit sont fort probablement au sommet de la liste de l’UdeM des programmes qui peuvent se compléter entièrement en ligne. La motivation première de mon implication dans l’exécutif du Pigeon Dissident, soit l’accès privilégié à un micro-ondes, une session d’automne hors campus me semble déjà bien moins stimulante. Je ne me fais pas d’idée, mais pourtant, j’ai encore un minime espoir que le déconfinement soit une réelle réussite, que les universités se « revirent sur un 10 cents » (comme on dit) et qu’à la fin de l’été, le coronavirus ne soit plus qu’un mauvais souvenir. Il faut croire qu’ils m’ont eu avec leur #çavabienaller.

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