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à la faucille d’or

Auteur·e·s

Charlotte Pelletier

Publié le :

14 février 2024

je remonte ma vie jusqu’à toi
la même tempête sur toutes les baies

j’avalais tout ce que je mangeais

j’avais les épaules roulantes

et des dents au fond du ventre

mes doigts sur toutes les gorges

j’étouffais au souffle naissant

mes plus maigres empathies

j’étais trop bonne pour aimer

et trop petite pour être grande

mais tu frappes d’un doute absolu

tu t’ériges comme une évidence

comme une halte au bout de la route

comme une toile entre ciel et terre

j’ai la mémoire de cent fuites

et le pas qui fait demi-tour

mais chancelante jusqu’à toi

j’exulte de ma naïveté

j’ai la gorge pleine de rouille

et je grince

et je bégaie

mais dans ta bouche mes mots

dans ta bouche une vie

tu tangues en mirage

derrière toi tout s’éteint

tu brilles de tous les lendemains

le temps roule sur toi

tu m’éclabousses d’éternité

sur tes poignets pousse une ville entière

et moi qui nais dans tes élans architectes

tu m’arraches à mon inertie

tes passions font brûler les miennes

je me lève d’un lit froid

j’ai mal aux genoux mais j’embrasse les tiens

tu nous couvres de la nuit comme d’un drap

je frémis de spasmes inexplorés

je suis étourdie d’une fatigue ivre

j’ai la tête lourde

les lèvres pendues

les mains trépidantes

et je les poserais sur toi

et je m’oublierais en toi

je pleurerai pour que tu me consoles

je gagnerai pour que tu me célèbres

je bourgeonnerai pour que tu me cueilles

je deviendrai quelqu’un

je serai douce

et grande de mille kilomètres

pour que tu n’arrêtes jamais de me toucher

et que toujours je sois nouvelle

demain je me réinventerai

et le jour d’après encore

dans tes bras changeante

toi d’une singulière familiarité

je te vois

je t’ai vu mille fois

tes yeux d’une eau que j’ai déjà bu

j’ai soif

et j’ai soif de nous

tu coupes la nuit en deux

et au milieu tu crées le matin

l’aube au bout de tes doigts

sur ma peau le jour

tu défriches une terre promise

fertile et frissonnante

je suis faite d’épines et de broussailles

toi de ferveur et de patience

je m’allonge dans ta vallée

je dis ton nom comme une promesse

et tu appelles le mien

contre ma tempe le mien

le hasard se mêle au destin

l’inconnu à tout ce que j’ai déjà su

je remonte ma vie jusqu’à toi

la même tempête sur toutes les baies

il n’a jamais plu sur toi

j’ai attendu dans ton ombre pendant vingt ans

et j’y resterai

moi aussi enfin patiente

calme et rompue

tant que tu me voudras encore

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