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« Parce qu’on est en [2021] »

Auteur·e·s

Philippe Brault

Publié le :

9 novembre 2021

Une année de rumeurs électorales palpitantes s’est terminée avec les élections assez somnifères du 20 septembre dernier. À la suite des malheureuses découvertes de sites d’enterrements d’enfants ayant péri dans différents pensionnats autochtones à travers le pays, en conjonction avec les piètres conditions de vie et de santé auxquelles font encore face plusieurs personnes autochtones, les Canadiens se sont rappelé le passé honteux de leur pays et se sont naturellement attendus à ce que les politiciens réagissent.

En fait, il faut se demander combien de souveraineté monsieur Trudeau était réellement prêt à donner aux peuples autochtones, parce qu’on est en 2021!

Ainsi, Justin Trudeau a nommé Mary Simon gouverneure-générale. Officier de l’Ordre du Canada, madame Simon fut notamment dirigeante du Conseil circumpolaire inuit et ambassadrice du Canada au Danemark. Sa dernière nomination fit les manchettes à l’international, mais est-elle aussi révolutionnaire que certains aimeraient croire?


Dans une brève opinion publiée dans La Tribune, Benoît Pelletier parle effectivement d’une désignation « riche en symboles et en espoirs ». (4) Pita Aatami, président de la Société Makivik, affirme que « having an indigenous person as the Crown’s representative in Canada sends a strong message to the nation, and to the international community ». (1) Bien que la nomination de la première représentante autochtone de notre cheffe d’État envoie un message important dans le contexte de l’actualité récente et des efforts présents de réconciliation avec les populations autochtones au pays, les effets concrets de cette nomination sont à remettre en question.


En fait, il faut se demander combien de souveraineté monsieur Trudeau était réellement prêt à donner aux peuples autochtones, parce qu’on est en 2021! En tant que gouverneure-générale, madame Simon exerce une panoplie de compétences fondamentales à notre ordre constitutionnel. Nommer les membres du Sénat, dissoudre la Chambre des communes, lui recommander tout projet visant les dépenses publiques et approuver ou refuser les projets de loi votés par les deux chambres du parlement sont quelques exemples des pouvoirs considérables conférés au gouverneur-général par la Constitution. Toutefois, on sait bien que ces pouvoirs sont (heureusement) atténués par les conventions constitutionnelles qui mettent généralement en garde le gouverneur-général contre une utilisation libérale de ses pouvoirs.


Et pourtant, Daniel Béland, de l’Institut d’études canadiennes de McGill, affirme : « Reconciliation is not only about symbols; it’s about concrete policy change ». (1). Ainsi, comment la nomination de Mary Simon, une femme autochtone hautement qualifiée, à un poste où elle sera politiquement contrainte à simplement approuver n’importe quelle loi adoptée par le Sénat et la Chambre des communes permettra-t-elle de faire avancer la cause autochtone par le processus législatif?


Alors que plusieurs communautés souffrent d’un approvisionnement inadéquat en eau potable, de dépendances, d’établissements scolaires misérables et de problèmes de santé mentale alarmants, notre premier ministre nomme la première femme autochtone à un poste qui, dirait-on, afin de permettre la survie de la monarchie à une époque où l’on favorise les régimes démocratiques, se limite en pratique essentiellement à ce que souhaitent les représentants élus de la Chambre des communes et les sénateurs. Madame Simon ne dira pas non aux pipelines, ne cessera pas les subventions aux industries fossiles, ne pourra abolir la Loi sur les Indiens ni changer son nom, n’entamera pas de modifications constitutionnelles, et cetera.


Voilà donc pourquoi je ne comprends pas comment Brian Myles peut raisonnablement penser que « nous ne sommes plus dans le symbolisme, mais dans le progrès ». (3) Comment la désignation d’une femme autochtone au poste de représentante d’un des meilleurs symboles survivants du colonialisme, qui résiste traditionnellement à faire preuve d’autodétermination pour ne pas remettre en doute l’importance des idéaux démocratiques canadiens, permet-elle un progrès si avant-gardiste pour la cause autochtone? Si monsieur Myles souhaite parler de la transition de l’abstrait vers le concret, qu’il en fasse au moins la preuve!


Cela ne signifie pas que je suis de l’opinion que monsieur Trudeau n’a jamais fait avancer la cause autochtone de la bonne manière. Au contraire, il l’a fait en 2015, lorsqu’il a nommé Jody Wilson-Raybould comme ministre de la Justice. Anciennement procureure de la Couronne, madame Wilson-Raybould avait l’expérience requise pour la position et est devenue la première personne autochtone à être nommée au poste. Malheureusement, elle n’a pas tenu sa position longtemps, après qu’il eût été révélé que le bureau de monsieur Trudeau aurait exercé de la pression sur la ministre de la Justice afin qu’elle consente à un accord de réparation avec SNC-Lavalin dans le cadre d’accusations de fraude et de corruption contre l’entreprise canadienne d’ingénierie et de construction. (2)


Ce scandale a ultimement mené à l’expulsion de madame Wilson-Raybould du caucus libéral, et démontre que, d’une certaine manière, monsieur Trudeau n’a pas réellement fait preuve d’une volonté de permettre à sa ministre d’agir librement et de façon objective dans un poste qui lui aurait permis d’avoir un impact concret sur la société canadienne, du moins plus que le poste de gouverneur-général.


Ce texte ne se veut pas une critique exhaustive des politiques mises en place par le gouvernement Trudeau pour faire avancer la cause autochtone. Il se limite à la nomination d’individus à certains postes de notre structure politique. Notre premier ministre a, selon moi, deux améliorations à viser. Tout d’abord, il ne faudrait pas se limiter à nommer des personnes autochtones et issues de minorités à des postes qui représentent un symbole important de la société canadienne. Il faudrait également nommer des individus à des postes leur permettant d’avoir un impact concret dans leur domaine. Ainsi, mettons des personnes autochtones en charge des réformes environnementales si nécessaires au pays. La terre et nous-mêmes bénéficierions infiniment de leur manière de percevoir la nature et la relation que l’homme entretient avec elle. De telles nominations permettraient aussi de s’assurer que ces personnes se sentent valorisées et écoutées par le pays.


Ensuite, une fois que ces personnes entrent en fonction, laissons-les s’épanouir de façon éthique dans un domaine qu’elles connaissent souvent mieux que n’importe qui, y compris monsieur Trudeau.


Effectivement, la réparation due aux personnes autochtones ne se fera pas simplement grâce à des mesures symboliques. Il faut une participation concrète de ces populations afin de reconnaître leur droit de participer à l’élaboration d’une société canadienne juste et durable, et une participation véritable, non entachée d’interventions illégitimes ne leur permettant pas de réellement servir la population canadienne.

Sources citées:


(1) Lalonde, M., (2021, 6 juillet). Indigenous leaders praise choice of Mary Simon as Governor General. Montreal Gazette. https://montrealgazette.com/news/local-news/indigenous-leaders-praise-choice-of-mary-simon-as-governor-general


(2) Levinson-King, R., (2019, 15 octobre). Jody Wilson-Raybould: The woman who fought Justin Trudeau. BBC. https://www.bbc.com/news/world-us-canada-49968196


(3) Myles, B., (2021, 10 juillet). Nomination de Mary Simon : plus qu’un symbole. Le Devoir. https://www.ledevoir.com/opinion/editoriaux/617130/nomination-de-mary-simon-plus-qu-un-symbole


(4) Pelletier, B., (2021, 11 juillet). Nomination de Mary Simon : Vous avez bien dit réconciliation? La Tribune. https://www.latribune.ca/opinions/nomination-de-mary-simon--vous-avez-bien-dit-reconciliation--6ede8976be9ed4c77fada7cd9b7c3bf2

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